25 novembre 2008

EURORACKET

Et allez donc, pourquoi se géner, on ne change pas une méthode qui gagne et un racket qui marche : 7,8 millions de plus ont été balancés dans le trou de la Praille. Des millions puisés dans les caisses publiques, en l'ocurrence celles du Fonds d'équipement communal, alimenté par les communes et le canton, et dont les décisions (celle-là a été prise le 19 février) ne sont pas, suprême avantage, susceptibles d'être contestées par référendum populaire (ce à quoi, d'ailleurs, la Constituante devrait remédier). Et à quoi ont-ils servis, ces millions, s'ajoutant aux millions déjà rackettés dans le même fonds il y a un an pour payer les dettes de la Fondation du stade ? A rien d'utile : à financer l'installation d'une nouvelle tribune pour les media, d'un centre de presse et d'un "espace d'accueil" pour les sponsors, et de la sonorisation et l'éclairage de l'esplanade. Tout ça imposé par contrat à la Fondation du Stade par l'UEFA, qui ne paye pas un rond, impose ses conditions et a reçu presque gratuitement (sauf une location de 450'000 francs par match, et une participation d'un million et demi aux quinze millions investis) un stade clés en main et flambant neuf , pour en user à sa guise pendant un mois.. Ces travaux ne devaient coûter que 6,8 millions et être payé par le Sport Toto et la Confédération, mais comme d'hab, ça a coûté plus du double et ça a été payé essentiellement par les collectivités publiques. Les arracheurs de dents de service ont tenté de se justifier : "ces travaux sont d'intérêt public", a déclaré Laurent Forestier, le porte-parole du Conseiller d'Etat Mark Muller, lequel "espère vraiment que ce sera la dernière rallonge". Ben voyons... ça fait bientôt dix ans qu'on nous annonce "la dernière rallonge", avant d'en demander une autre. Au passage, le Conseiller d'Etat Muller a poussé à la démission le protégé du Conseiller d'Etat Moutinot, Jean-Pierre Carera, président de la Fondation du Stade, à qui les faux derches gouvernementaux font jouer le rôle de fusible. Carera avait assuré, le 6 décembre, deux mois avant le nouveau racket du FEC, qu'"il n'y aura pas de nouvelle rallonge". La différence entre Carera et Muller, c'est que le premier peut être lourdé par le second, dont on ne pas se débarrasser avant les prochaines élections cantonales. Ce qui évidemment ne l'a pas empêché de proclamer son intention de jouer une "transparence totale" dans le dossier du financement de l'Eurofoot. Après avoir pompé huit millions en toute transparence dans le fonds d'équipement communal, histoire de se soustraire à un référendum populaire.
Le Fonds d'équipement communal avait pourtant fait mine (mais seulement fait mine) de refuser de verser les 7,8 millions directement à la fondation du stade, ce qui aurait obligé les autorités cantonales à déposer un crédit devant le parlement. Vu le parlement dont Genève est gratifiée, il aurait accepté -mais nous aurions lancé un référendum, avec toutes les chances qu'il aboutisse. Lors de la séance du 19 février, les représentants des communes, sauf la représentante de la Ville, Sandrine Salerno, qui s'y est opposée au nom du respect de la volonté populaire (et parce qu'elle estime que le canton ne peut pas utiliser la part des ressources du FEC qui revient à l'Etat pour payer les factures du stade), se sont abstenus sur la proposition du Conseil d'Etat. Proposition qui a donc été votée par les seuls représentants de l'Etat, les deux Conseillers d'Etat Verts Hiler et Cramer, contre la seule opposition de la représentante de la Ville. Et c'est comme cela, brave gens, qu'on vous prive de la possibilité de dire par un vote ce que vous en pensez : par un tour de passe-passe au terme duquel, parce qu'ils sont deux, les représentants du canton imposent leur seule volonté à la volonté de la seule représentante de la seule Ville en l'absence de toute trace de volonté des autres communes, qui se sont lamentablement dégonflées.
La nouvelle ponction dans le fonds d'équipement communal avait pourtant, avant d'être effectuée, suscité quelques réactions négatives -qui ne l'ont pas empêchée, mais retardée. Le président du FEC avait écrit au Conseiller d'Etat Mark Muller pour lui dire ses réserves, tout en lui confirmant qu'il versera en bloc 17 millions au canton, libre à celui-ci de les utiliser comme bon lui semble, mais tout de même en respectant les règles légales : pas d'utilisation avant le début 2008, et utilisation pour des projets cantonaux inscrits au budget.
De son côté, la responsable des finances de la Ville, Sandrine Salerno, s'était opposée (mais elle a été la seule à le faire) à l'utilisation du FEC pour payer les factures d'une fondation de droit privé, et avait demandé au canton, s'il tenait vraiment à ponctionner ses caisses pour payer ses factures, de le faire conformément aux usages, en déposant un projet de loi. Elle croit quoi, Sandrine ? Qu'elle a affaire à des démocrates ? Déposer un projet de loi, c'est justement ce que le canton voulait à toute force éviter, puisqu'un projet de loi est susceptible de référendum, et que le dernier référendum lancé contre le financement public du stade a tourné à la confusion des partisans de ce financement.

La dernière rallonge financière accordée au stade (pour le conformer aux desiderata de l'UEFA) a fait monter à 16,5 millions de francs le coût de son adaptation à l'Euro2008. Pour trois matches jouée à Genève. Ces matches ont rassemblé 90'000 spectateurs. Ce qui nous fait un coût d'adaptation du stade équivalant en gros à 170 francs par spectateur. Comme lesdits spectateurs n'auront pas payé ce prix pour obtenir un billet, et que plusieurs centaines d'entre eux n'ont rien payé du tout, qui paiera la différence ? Ben... le contribuable... en toute transparence...

Michel Bonnefous, président de la société organisatrice de la Coupe de l'America, a intégré le Conseil de fondation du stade, ainsi que deux nouveaux membres, Sami Kanaan en tant que représentant de la Ville, et Serge Bednarczyk. Après la démission forcée de Carera, c'est un ancien directeur de l'UBS, Benoît Genecand, qui a pris la tête de la Fondation, élu à l'unanimité à sa présidence. Un banquier, en effet, ça s'y connaît, en pompes à fric. Et un banquier de l'UBS, en trous financiers. Ce qui n'empêche pas que le nouveau président se fixe un objectif hors d'atteinte : "faire du stade un lieu de rencontre beaucoup plus sexy et qui puisse faire rêver".

"Le budget consacré à l'Euro est en passe d'être respecté", a assuré, la fête terminée, le coordinateur cantonal de la chose pour Genève, Michael Kleiner. Le budget en question s'élève à 16 millions -soit en gros, et au plus, la moitié de ce que coûtera réellement l'Eurofoot aux collectivités publiques genevoises, puisqu'au budget s'ajoute tout ce qui n'a pas été budgeté (comme les 700'000 francs de la location du domaine public de la Ville -Plainpalais, Vernets, Bout-du-Monde), et tout ce qui l'a été sur d'autres postes que l'Euro.

Assurer la sécurité publique pendant l'Euro a coûté des dizaines de millions (au moins 92 millions et demi, alors qu'on n'en avait budgétés au départ que cinq) à la Confédération, aux cantons et aux communes, y compris à ceux et celles qui n'ont pas accueilli de matches (mais des "fans zone" avec écrans géants et baraques à saucisses). Dans le seul canton de Fribourg, la facture se monte à au moins 2 millions et demi. Dans le canton de Vaud, même facture. La Confédération ne verse que dix millions et demi, et aux seuls quatre cantons-hôtes (Bâle, Berne, Genève, Zurich), en plus des frais qu'elle assume directement (genre mobilisation de l'armée). Du coup, les autres cantons réclamaient, eux aussi, des sous à Maman Helvetia. Officiellement, la sécurité coûtera 82,5 millions à la Confédération, aux cantons et aux communes, plus dix millions de réserve. A Genève, le budget "sécurité" dépassait les sept millions. "On donne beaucoup d'argent aux villes-hôtes : Genève a reçu plus de 2 millions de francs", se justifiait Michel Platini, ci-devant président de l'UEFA : "beaucoup d'argent" selon Platini, c'est moins de la moitié de ce que va coûter à Genève la seule sécurité. Et en tout, Genève va claquer vingt fois plus pour l'Euro2008 que le "beaucoup d'argent" qu'elle aura reçu de la princière UEFA). La Ville de Genève (qui, dans son magazine "Vivre à Genève" s'en montre toute fière) a assumé l'intensification par la Voirie du ramassage des déchets et de la fréquence du nettoiement des sites touchés par l'Euro, ce qui a nécessité un renforcement du personnel et du matériel, ainsi que l'installation de onze chiottes mobiles; elle a devoir payé en plus la mobilisation au sein d'un "groupe circulation" d'une vingtaine d'agents de sécurité municipaux pour "canaliser la circulation des véhicules", l'organisation de patrouilles d'ASM à pied, à vélo et en roller le long des itinéraires piétons, la mobilisation des pompiers du SIS au sein du dispositif "Osiris" des situation exceptionnelles, la mobilisation des gardes dans la zone du Bout du monde, et de la Protection civile pour le montage et le démontage des installations du Bout-du-Monde et de Plainpalais, l'accueil des campeurs et la surveillance du site. ça a coûté combien, tout ça ? Et la mise à disposition de l'Euro 2008 de tout ou partie du temps de tavail de dizaines de fonctionnaires, ça équivaut à quel coût pour la collectivité ? A au moins un million et demi pour la seule Ville de Genève...

L'engagement de Swisscom, "sponsor national" de l'Eurofoot, aura coûté également fort cher (plusieurs dizaines de millions de francs) pour assurer les télécommunications dans les quatre stades hôtes et dans une vingtaine d'autres sites, garantir la transmission vers l'Autriche des images télé de tous les matches joués en Suisse, répondre aux besoins des organisateurs (plusieurs centaines de personnes), des media (8000 journalistes accrédités), des équipes, des bénévoles et du public. 300 techniciens auront été mobilisés dans les stades, 1300 employés impliqués dans l'événement. Un service public (Swisscom) au service d'une organisation privée (l'UEFA), c'est du New Public Management ou on ne s'y connaît pas.
Bon, d'accord, on ne s'y connaît pas.

Certaines communes et certains cantons en fait encore plus que ce que l'UEFA et ses commis politiques leur demandaient : Lugano a ainsi payé les billets d'avion qui ont permis à l'équipe de Suède, qui séjournait à Lugano, d'aller jouer ses matches en Autriche. Ce beau geste coûtera autour de 80'000 balles aux contribuables luganais. A Neuchâtel, la Ville a "adapté" le site d'entraînement réservé à l'équipe du Portugal. Dans le canton de Vaud, la collectivité a offert des prestations de relations publiques aux équipes de France et de Hollande, qui séjournaient dans le canton. A Genève, en revanche, on assure (mais les promesses, dans le feuilleton de l'Euroracket, ne valent pas grand chose) qu'aucune dépense particulière n'a été consentie pour l'équipe qui séjournait dans le canton (mais s'entraînait à Nyon). Il est vrai qu'il s'agit de l'équipe de Turquie. Des gens carrément pas de chez nous.

L'UEFA, qui fait raquer les collectivités publiques pour l'organisation à son profit de l'Euro2008, est particulièrement soucieuse de contrôler les droits de diffusion et de marketing liés à ladite compétition. Disons que, d'une main l'UEFA puise dans les caisses publiques, et que de l'autre elle tape sur tous ceux qui auraient l'impudence de vouloir saisir l'occasion de l'Euro pour se faire un peu de pub. Depuis l'Euro2004, au Portugal, c'est une entreprise mise en place par l'UEFA ("Euro 2008 SA) qui gère les droits de diffusion (y compris de la diffusion des matches, puisque l'UEFA s'est instituée productrice des images de télé) et de marketing, et réprime le "marketing parasitaire" (il y en a donc un autre ?) de tous ceux qui tentent d'obtenir une petite part d'un gâteau que l'UEFA entend bien se réserver. Un réseau mondial de juristes veille : la porte-parole d'Euro2008 SA annonce à mi-décembre que la société est déjà intervenue auprès de 250 contrevenants (contrevenants à quoi, au juste ?) par des lettres de mise en demeure, et que cinq cas ont débouché sur des actions en justice. L'UEFA accusait en outre publiquement la Migros de se faire de la pub sur le dos de l'Euro2008 en proposant des jeux en marge de la compétition (du genre "championnat des supporters", à la télévision) alors qu'elle avait été écartée du choix des sponsors officiels de la compétition au prétexte que les distributeurs ne constituent pas un bon partenaire pour ce genre d'événements. De leur côté, les responsables de l'organisation des à-côtés de l'Euro2008 à Genève commençaient à trouver l'UEFA et Euro2008 S.A. un tantinet encombrantes, procédurières, maniaques : "des dizaines de pages de document réglementent le moindre détail". Et "Le Temps" de se demander (le 17 décembre) si, "à force d'obstination mercantile", l'UEFA ne serait pas en train de dresser contre elle "une grande partie de l'opinion publique". Certes. Mais c'était juste un peu tard pour se poser la question.
Le coordinateur de l'Eurofoot pour Genève, Michael Kleiner, et les fonctionnaires impliqués dans l'organisation du machin, se donc mis, deux mois avant le raoût, à critiquer l'UEFA et les conditions qu'elle imposait aux villes hôtes. Des conditions tellement draconiennes que les autorités genevoises ont pris une décision dont l'héroïsme impressionne : tenir leurs "événements promotionnels" sur la plaine de Plainpalais, et pas dans le Stade de la Praille, vu que l'UEFA, qui s'est arrogée la maîtrise de cette espace payé par la collectivité imposait des tarifs de location prohibitifs (une réception coûtant jusqu'à 3000 balles par invité). Les représentants de l'UEFA "arrivent avec des contrats fleuves où tout est prévu et imposé : clause sur la sécurité, sur la décoration, sur la publicité. Les autorités signent et (les représentants de l'UEFA) décident de tout". Et Michael Kleiner, un tantinet jésuite, de s'interroger : "Comment expliquer aux contribuables (genevois) que nous utilisons leur argent pour louer à des prix prohibitifs des surfaces dans leur propre stade, via une société mandatée par l'UEFA afin de vendre des espaces (...) qui, en réalité, appartiennent (aux Genevois)". Et alors ? Qu'est-ce que c'est que ces scrupules tardifs ? Comment a-t-on expliqué aux Genevois qu'on allait pomper des dizaines de millions dans les caisses publiques pour construire un stade inutile ? On ne leur a rien expliqué du tout, on s'est contenté de leur bourrer le mou en affirmant que le stade était indispensable, qu'il ne coûterait rien et qu'il serait toujours plein...

L'UEFA a aussi fait raquer les sponsors (ils servent à ça, d'ailleurs). La firme horlogère vaudoise Hublot a ainsi payé entre trois et cinq millions pour être, avec Coca-Cola, l'UBS et les chocolats Ferrero, sponsor national suisse de l'Euro. Mais Hublot, au moins, a décidé d'offrir les espaces publicitaires qu'elle a acheté à l'organisation "Football contre le racisme en Europe" (FARE), qui il est vrai a beaucoup de boulot pour civiliser les supporters de foot. L'exemple de Hublot devrait être suivi : on attend donc que l'UBS offre désormais ses espaces publicitaires à la Banque Alternative, Coca Cola aux associations de lutte contre la malbouffe et Ferrero à la fondation Max Havelaar.
Les sponsors de l'Euro2008 n'étaient pas contents : des entreprises (et pas les plus petites : Swiss, par exemple, ou Migros) récupéraient le bruit médiatique autour de l'Euro pour en tartiner leurs propres campagnes promotionnelles (Swiss s'intitulait "compagnie aérienne officielle des fans", Migros organisait un "Euro des supporters"...). L'UEFA avait carrément exigé de la Suisse qu'elle adopte une loi contre le marketing sauvage pendant l'Eurofoot, c'est-à-dire l'exploitation de la compétention sportive sans, crime de lèse-majesté, versement de royalties à l'UEFA. Mais, surprise : les exigences de l'UEFA n'ont pas été entérinées par la Suisse officielle, et la loi contre le "marketing sauvage" avait sombré en procédure de consultation. L'UEFA a donc dû intervenir elle-même auprès de 430 entreprises pour leur demander de cesser d'utiliser l'image de l'Eurofoot. Dure est la loi du marché dans la jungle du sport pognon.

Ayant fait raquer ses sponsors, l'UEFA les couve ensuite, et va jusqu'à les protéger comme une hypothétique indépendance de comportement des spectateurs des matches : la porte-parole de l'UEFA, Pascale Vögeli, a rappelé en mai que tout détenteur d'un ticket d'entrée pour un match avait noué une "relations contractuelle" avec l'UEFA, que pendant le tournoi les stades accueillant les matches devenaient juridiquement des spaces privés dont l'UEFA usait à son gré, selon ses règles. On ne pouvait être plus clair. Et donc, si un groupe de supporters arborait des accessoires portant le logo de marques qui n'étaient pas des sponsors officiels du tournoi, lesdits supporters pouvaient se voir confisquer ces accessoires. l'EUFA avait même prévu d'expédier des "contrôleurs" dans les "Fan zones" et les lieux de retransmission publique, pour y faire régner l'ordre des marques. Big Sponsor is watching you.
A Bâle, un petit brasseur local, Istvan Akos, avait décidé de distribuer des T-shirt à l'effigie de sa propre marque, "Unser Bier", pendant l'Euro, y compris dans les zones soumises au monopole visuel des sponsors (en l'occurrence, la bière Carlsberg). Intervention immédiate de l'UEFA : les gens qui porteront ces T-Shirts seront carrément interdits d'entrée dans les zones officielles. Istvan Akos a également sillonné le Rhin, sous les yeux du public (qui applaudissait) et des organisateurs, sur un rafiot aux couleurs de sa bière. On aurait aimé que le brasseur de la bière "Calvinus" en fasse autant à Genève mais bon... Toujours à Bâle, où trois restaurateurs ont été punis par la fermeture de leurs terrasses pour avoir refusé de vendre la bière-sponsor, de petites fêtes de "résistance" au diktat du sponsor ont été organisées, et une Conseillère nationale verte a ouvert un "jardin à bière" pour signifier que Bâle est "plus que seulement de la Carlsberg".
Même la police genevoise s'est fait engueuler par l'UEFA : elle avait fait confectionner (pour ses collaborateurs) des T-Shirts et des casquettes aux couleurs de l'Euro2008 par un fabriquant que l'UEFA n'avait pas autorisé à utiliser son logo. L'opération a coûté 10'000 balles, pour 500 T-Shirt et 300 casquettes. La police devra utiliser ses fanfreluches à d'autres occasions, ou les distribuer gratuitement.

L'UEFA ayant décidé de produire elle-même les images télé des matches, elle entendait se substituer à l'organisme suisse de défense des droits d'auteurs, la SUISA, et attribuer ses propres licences pour la retransmission des matches de l'Euro2008, parallèlement à la SUISA. Parallèlement, mais à un prix explosé : la SUISA accordait des licences à 160 francs pour l'ensemble des compétitions de l'Euro2008, l'UEFA voulait taxer jusqu'à 200 balles... mais par match. Las ! Elle a été déboutée par le Tribunal administratif fédéral.
Si l'UEFA n'a pas été autorisé à attribuer ses propres licences pour la retransmission des matches, elle a tout de même réussi à choisir ce qui sera retransmis. En clair : à sélectionner les "bonnes" images (celles qui lui servent" et les "mauvaises" (celles qui risquent de déplaire). Les télés nationales suisse et autrichienne ne pouvaient, éventuellement, transmettre leurs propres images que dans leur pays. Résultat : Des images de supporters croates allumant des feux de bengale pendant le match Allemagne-Croatie, ou d'un supporter croate pénétrant sur le terrain et oursuivi par des flics, ont été censurées. Et les télés nationales suisse et autrichienne ont râlé contre cette censure. Après en avoir accepté, sinon le principe, du moins l'éventualité. Cocus et faux derches, donc. De leurs molles protestations, l'UEFA n'avait de toute façon cure : son porte-parole expliquait suavement dans "Le Temps" du 17 juin que "le vrai débat est celui de ces petites télévisions publiques qui n'ont plus beaucoup de ressources et deviennent dépendantes des producteurs d'images sportives", comme l'est désormais l'UEFA. Le directeur de l'information à la télé publique autrichienne a déclaré que les télés publiques devaient "réfléchir si (elles allaient) continuer à accepter" cette situation...que personne ne doute que sa télé va, comme toutes les autres, continuer à accepter. Jusqu'en 2004, les images des Eurofoots étaient produites par l'Union européenne de radiodiffusion (UER). L'Euro2008 a été le premier où les images étaient produites directement par l'UEFA, qui a créé une filiale, UMET-UEFA, gérant les aspects techniques et mettant le matériel à disposition.
Le premier test après l'Euro a été celui des JO de Pekin. Parce que là aussi, l'organisateur (le CIO, comme l'UEFA) se fait producteur d'images. Il a créé avec le comité d'organisation des jeux une organisation (le BOB, Beijing olympic broadcasting) qui va produire le signal télévisuel fourni aux chaînes qui détiennent les droits de diffuser.

Après plusieurs mois de bras de fer, la Confédération a réussi à imposer à l'UEFA le principe de la fiscalisation des primes reçues par les joueurs des équipes en lice en Suisse pendant l'Euro : elle les imposera à hauteur de 20 % sur les primes reçues au cours de la compétition. L'UEFA demandait à ce qu'ils soient carrément dispensés de taxation sur leurs primes. Or les montants en jeu méritent tout de même un minimum d'attention du fisc : chaque équipe qualifiée recevra de l'UEFA 7,5 millions d'euros pour sa participation au tournoi, plus un million par victoire, plus deux millions pour les quart de finales, trois millions pour les demi-finales et 7,5 millions pour le vainqueur...
Cela dit, c'est pas avec le produit de l'imposition des joueurs qu'on va remplir les caisses publiques : le montant total des recettes fiscales que pourraient toucher l'Autriche et la Suisse se situera, modestement, entre quatre et huit millions de francs. Même pas ce que coûte à la Confédération (dix millions) la campagne de marketing de "Suisse Tourisme"...
Les joueurs, pourtant, recevront (du moins certains d'entre eux) de jolies primes: les Turcs recevront chacun environ 725'000 francs pour avoir réussi à aller jusqu'aux demi-finales; les Russes, qui sont dans le même cas, recevront 195'000 francs. Eliminés en quart de finales, les Croates toucheront 486'000 francs. Les Espagnols, vainqueurs du tournoi, recevront, eux, 347'000 francs -et les Allemands, qu'ils ont battus, à peu près autant.

Quant à l'UEFA elle-même, rappelons qu'elle ne paie pas un sou d'impôt, en tant que "société d'utilité publique". Statut que l'administration fédérale des contributions semble vouloir lui contester, comme à d'autres fédérations du sport professionnel (la FIVB -Volleyball- ou la FIG -gymnastique) au prétexte mesquin que la moitié de son chiffre d'affaire 2008 (trois milliards de prévus) proviendra de la commercialisation de droits TV, qu'il s'agit donc d'une activité économique et que ça exclut l'exemption d'impôts. Du coup, mobilisation générale chez ces philanthropes : si vous nous imposez, on part ailleurs ousque y'aura pas d'impôts à payer. Une soixantaine de fédérations et associations sportives internationales ont leur siège en Suisse, dont une quarantaine dans le canton de Vaud, qui s'inquiète : les retombées économques de leur présence sont évaluées (à la louche) à 200 millions par an, et elles emploient un millier de personnes -qui sont imposées comme contribuables individuels quand elles habitent en Suisse. En mars 2006, la Conseillère nationale vaudoise Géraldine Savary (PS) déposait une initiative parlementaire demandant la publication des bilans annuels, des salaires des dirigeants et de l'échelle des salaires des organisations sportives internationales implantées en Suisse. En octobre 2007, cette proposition était rejetée par la Commission de l'économie du Conseil national, mais à une seule voix de majorité, ce qui laissait craindre au gouvernement vaudois une acceptation en plénière, d'où un lobbying insistant auprès des parlementaires fédéraux, sur le thème : "touchez pas aux vaches sacrées sportives".

Malgré ses déboires dans la crise des "subprimes", l'UBS avait encore du pognon à foutre en l'air, mais pas trop, tout de même : Elle sponsorisait les "amphithéâtres de l'Euro", dits "UBA Arena", installés dans seize villes suisses pendant un mois (en Romandie : à Bienne, la Chaux de Fonds, Lausanne, Nyon et Sion), mais les groupes qui y jouaient devant 5000 à 6000 personnes au maximum (dont 1200 places assises payantes, entre onze et seize balles) n'étaient pas payés, au motif que ces machins étaient "un tremplin pour se faire connaître"."Tout a été investi dans les infrastructures", y'a plus un rond pour payer les artistes, expliquait le porte-parole de l'organisateur. On pouvait pas demander un chti coup de main à "Chauffe Marcel" Ospel, l'ex-patron de l'UBS à plus de 20 millions annuels de salaires et gratifications diverses ?
Les concerts des "UBS Arena" ont d'ailleurs été revus à la baisse, pour cause de nuisances sonores, et ne duraient plus qu'une demie-heure avant les matches, priorité étant donnée à un programme télé spécialement produit par la SSR, "Arena TV", qui, lui, durait 70 minutes.
Les UBS Arena ont produit un intéressant règlement pour leurs parcs à bestiaux : y étaient interdits les cloches, les mégaphones, les klaxons à gaz, les crécelles, les parapluies, les caméras vidéos, les boissons autres que celles des marques des sponsors. Il était également interdit de se tenir debout sur les places assises, de répandre des liquides, de faire ses besoins hors des toilettes (on pouvait chier dans son froc, quand même ?). Il était en revanche prescrit de trier ses déchets et de se soumettre à la fouille. Pas de doute, l'Eurofoot, ça va être une grande fête populaire.

Les retombées économiques de l'Eurofoot ne sont pas quantifiables, estiment l'institut zurichois BAK et le secrétariat autrichien à l'économie : l'événement ne devrait pas faire augmenter le produit intérieur brut de la Suisse et de l'Autriche, ni le PIB genevois, de plus de 0,1 % (un pour mille, donc, mais l'Union industrielle autrichienne espère que ça montera à 0,21 %, et le cabinet Rütter+Partner suggère une fourchette de 0,14 à 0,18 % duPIB, soit entre1,1 et 1,5 milliard), ce qui relativise beaucoup les promesses faites et les assurances données pour justifier l'organisation du machin en Suisse ("ça va doper l'économie !"). Et non seulement l'Eurofoot n'amènera, dans le mailleur des cas, que un pour mille de PIB de plus (un effet "quasiment invisible" et "à peine quantifiable" à l'échelle macroéconomique, selon Rütter+Partner), mais l'effet sera ponctuel : les emplois créés seront temporaires, comme les dépenses supplémentaires de consommation. Quant aux rentrées fiscales, l'Union industrielle autrichienne les estime à 25 millions, et Rütter+Partner entre 80 et 110 millions (entre Confédération, cantons et communes). Soit bien moins que le coût de l'Eurofoot pour les caisses publiques. A Genève, les retombées économiques mesurables et directes de l'Eurofoot, c'est-à-dire celles amenées par les "visiteurs" et les dépenses supplémentaires des indigènes, devraient se situer entre 22 et 40 millions. Soit de toutes façons moins que ce que l'"événement" aura coûté aux caisses publiques municipales et cantonales genevoises, entre subventions directes et indirectes, dépenses de sécurité et de voirie, heures supplémentaires du personnel public mobilisé, aménagement des parcs à bestiaux de Plainpalais et du Bout-du-Monde, adaptation du stade aux exigences de l'UEFA etc...
A Genève, le "laboratoire d'économie appliquée" de l'Université situe le chiffre d'affaire net, direct et indirect, de l'Euro dans une fourchette de 70 à 110 millions, la création de valeur ajoutée entre 40 et 60 millions, et les rentrées d'impôt direct(canton et commune) entre 2,1 et 3,1 millions. Une poussière, un vingtième, en gros, de ce que le machin aura coûté aux caisses publiques (16,6 millions sur le budget cantonal, huit millions pompés dans le fonds d'équipement communal, plus les coûts liés à la mobilisation des services publics...)
Sitôt l'Eurofoot terminé, on a commencé à faire les comptes dans les villes-hôt es. Et A Bâle, on s'est aperçu que si les fast-food et bistrots du centre-villes ont vu leur chiffre d'affaire augmenter, les restaurants ont vu le le leur baisser de 15 à 30 %, voire 50 %, et qu'au total, seul un établissement sur quatre a tiré profit de l'Eurofoot. Même constat à Zurich et à Berne. Et aussi à Genève (et dans la région), où l'on estime déjà que les hôtels n'ont pas vu leur chiffre d'affaire s'accroître : ils étaient déjà remplis par la conférence annuelle de l'OIT, et une bonne partie des supporters (ceux des pays d'où provient l'immigration genevoise, les Portugais et les Turcs, notamment) ont logé chez des parents ou des amis. En réalité, les résultats ont même été mauvais. Sauf à Bâle, le nombre de nuitées vendues en Suisse a diminué de 2,6 % en juin 2008 par rapport à juin 2007. A Genève, le recul a atteint 4 %, à Zurich 4,8 %, à$ Berne 12,7 %. A Bâle, elles ont certes augmenté de 3,6 %, mais uniquement grâce à celle passées dans les hôtels les plus bas de gamme (une étoile), qui sont aussi les seuls à avoir vu le nombre de leurs nuitées augmenter à Genève (de 1 % par rapport à juin 2007 pour les deu étoiles). Le président de la société des hôteliers genevois se dit très surpris, le directeur de Genève Tourisme pas vraiment déçu.
Par ailleurs, selon le Secrétariat d'Etat suisse à l'économie, l'Euro2008 aurait du faire monter le cours du franc suisse par rapport au dollar et à l'euro, du moins si les prévisions de 1,4 million de visiteurs étrangers, d'un milliard et demi de chiffre d'affaire et de 7300 emplois temporaires créés s'étaient réalisées.
Finalement, les organisateurs, forcément (auto)satisfaits, de l'Eurofoot helvéto-autrichien ont annoncé que la durée moyenne du séjour des visiteurs des stades a été de 3,4 nuits en Suisse et 3,6 en Autriche, et qu'ils ont dépensé chacun 2189 francs en Autriche et 1621 francs en Suisse.

Fin juillet, l'UEFA, elle, criait victoire. Elle pouvait : l'Eurofoot a généré des recettes records de 2,14 milliards de francs, soit 50 % de plus (ou près d'un milliard de plus) qu'au Portugal en 2004. Les seuls droits de retransmission télévisée ont amené 1,3 milliard (les marches ont été suivie en moyenne par 155 millions de téléspectateurs). Le sponsoring et le merchandising ont ramené 461 millions, le programme "VIP" our les enreprises 215 millions, la billetterie la plus petite part : 149 millions. Ce qui confirme que l'Eurofoot n'était pas une manifestation sportive, mais un bazar commercial (tant pis pour le pléonasme). Le bénéfice net atteint 412 millions. Quelle part pour la Suisse et l'Autriche ? Rien. Ou alors une "image positive" (qu'elle avait déjà) et les "retombées financières" de l'installation de l'UEFA sur son sol (Eurooot ou non). L'Eurofoot a coûté au moins 180 millions aux collectivités publiques suisses (Confédération, cantons, communes), dont au moins 72 millions à la Confédération. A Genève, les collectivités publiques y auront claqué une trentaine de millions.

Finalement, c'est Adidas qui a remporté la coupe : le fabriquant de cothurnes sportives sponsorisait cinq équipes (Allemagne, Espagne, France, Grèce, Roumanie), dont la tenante du titre (la Grèce) et les deux finalistes (l'Espagne et l'Allemagne). Nike en sponsorisait autant (la Croatie, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie et la Turquie), comme Puma (l'Autriche, l'Italie, la Pologne, la Suisse et la République Tchèque), et Umbro sponsorisait la Suède). On croit que l'Eurofoot oppose des équipes nationales de foot ? Ben non : ça oppose des fabriquants de godasses. Nike a payé 69 millions pour pouvoir être le sponsor de l'équipe de France entre 2011 et 2018 (les Français étaient sous contrat avec Adidas), et Adidas espère en 2008 un chiffre d'affaire, pour ses seuls produits "foot", de près de deux milliards de francs.