23 juillet 2010

Brèves

« Le j'men foutisme est la seule bannière sous laquelle (l'équipe de France de foot) est capable de rassembler », écrit, tout dépité, le quotidien sportif « L'Equipe », à propos de sa performance au Mondial de foot. On a enfin trouvé une équipe qui traite la grosse boeuferie sud-africaine comme elle le mérite...

Entre les droits de retransmission, les contrats publicitaires, la billetterie et les partenariats avec des entreprises comme Coca-Cola ou McDonald’s, la FIFA espère engranger près de trois milliards d’euros de recette globale grâce au Mondial de foot., L’organisation dirigée par le Suisse Joseph Blatter – dont le salaire annuel est estimé à près de 4 millions de dollars – affiche par ailleurs une santé comptable des plus radieuses : son bénéfice se montait en 2009 à 147 millions d’euros, ses fonds propres atteignant 795 millions d’euros.

Pour célébrer comme il se doit désormais, obligatoirement, la victoire (hasardeuse) de l'équipe suisse de foot contre l'équipe espagnole de foot, la «Tribune de Genève» du 17 juin fait (elle n'est pas la seule) dans le dithyrambe : « La victoire historique d'une Suisse héroïque ». Pas moins. Morgarten, Näfels, Sempach ? de la gnognotte. Un ballon est entré dans un filet, et le monde a changé de base. Bon, cela dit, quand la « Julie » entre en transe, au moins le fait-elle en silence. Et on peut même faire de ses pages de petits bouchons d'oreilles pour assourdir un peu le vacarme de klaxons, de vuvuzelas et de beuglements bovins qu'on a subi -avant qu'opportune, une bonne petite pluie n'y mette fin... putain, encore trois semaines de cette boeuferie...

Selon un sondage planétaire auprès de 100'000 fans de foot, à propos du Mondial en Afrique du Sud, un quart des fans suisses pensent que l'équipe suisse sera « la surprise du tournoi », et qu'elle se qualifiera pour les huitièmes de finale, 15 % la voyant même en demi-finale. Contre la Corée du Nord, sans doute. Un tiers des fans suisses annoncent que le Mondial sera prioritaire sur leur travail ou leurs études, un cinquième qu'il sera prioritaire sur leur vie amoureuse, un tiers sur leur vie familiale, 80 % qu'ils vont consacrer entre une et cinq heures au Mondial (et 3 % qu'ils vont y consacrer plus de dix heures)... Bref, pour un putsch ou une révolution, ça va être le moment rêvé, surtout que les flics seront mobilisés pour garder les troupeaux de supporters dans les machins organisés dans toutes les villes pour les rassembler. Le Grand Soir, c'est peut-être bien un soir de match, après tout... Vive le foot !

On a dit (et on redira) du mal dans ces pages du Mondial de foot en Afrique du Sud. On a suggéré que peut-être, au fond, tout au fond, ce truc n'était qu'une gigantesque pompe à fric. On bat notre coulpe. Non pas que le Mondial soit autre chose qu'une gigantesque pompe à fric. Seulement, cette pompe, elle amène du fric chez nous. Des dizaines d'entreprises suisses ont participé à la construction des infrastructures mégalos de la Coupe du Monde : Geberit a équipé six des dix stades en canalisations et installations sanitaires, et Franke les dix stades en chiottes de luxe (la pompe à fric est aussi une pompe à merde); Garaventa a construit un télésiège à Durban; Hublot a obtenu l'exclusivité du chronométrage des matches. Alors, que l'équipe de Suisse se fasse jeter du Mondial dans les préliminaires ou qu'elle se hisse en huitième de finale, on s'en fout puisque dans les chiottes, la Suisse sera championne.

La faîtière européenne du foot-pognon, l'UEFA, a refusé au club français Evian-Thonon-Gaillard le droit de jouer au stade de Genève, et a motivé ce refus en invoquant le principe «fondamental» de l'« organisation du football sur une base nationale territoriale ». Traduction en MCG basique : Evian, Thonon, Gaillard, c'est en France, le stade de Genève, il est en Suisse, et faut pas mélanger, parce que sinon, on sait plus où on va et tout le monde va vouloir jouer ailleurs que chez soi. Le FC Gaza à Tel Aviv, par exemple. Du coup, la Fondation du stade de Genève, qui espérait engranger quelques pépettes grâce à la venue du club français et couvrir ainsi une partie (mais une partie seulement) du million et demi annuel que coûte l'entretien du trou de las Praille, doit faire une croix (suisse ou savoyarde) dessus. En revanche, le FC Servette, qui craignait la concurrence frontalière, est très content. Surtout qu'il semble vouloir le racheter, le stade. Quant à Manuel Tornare, notre ministre municipal des sports, il a carrément téléphoné au président de la faîtière mondiale du sport-pognon, la FIFA, pour lui demander de faire pression sur son homologue européen afin que l'UEFA revienne sur sa décision. Manu téléphonant à Sepp Blatter pour lui demander de téléphoner à Michel Platini pour qu'un club français de deuxième division puisse jouer dans le stade d'un club suisse de deuxième division, si c'est pas de la diplomatie de haut vol, ça...

Dimanche dernier, juste après le match Allemagne-Australie, à Durban, 400 « stadiers » sud-africains ont manifesté pour réclamer le paiement du salaire qui leur avait été promis par contrat (environ 60 francs suisses) et non pas seulement l'aumône (moins de la moitié) reçue. La police est intervenue avec gaz-lacrymogènes et tirs de balles en caoutchouc (qui ont blessé une femme). Le comité d'organisation du Mondial s'est empressé de préciser que « les spectateurs n'ont jamais été en danger » (on est bien content pour eux), contrairement aux manifestants, qui n'ont eu que ce qu'ils méritaient en essayant de perturber la fête à neuneu, et la FIFA s'est, évidemment, déclarée «totalement étrangère » au conflit. Ben voyons.

21 juillet 2010

Coupe du monde : « Rien à foot » ? si au moins...

Du temps où le football était un sport comme un autre, il ne nous était qu'indifférent. C'était le bon temps. Devenu, d'abord un marché, ensuite une pathologie, le foot nous est devenu insupportable. Ce qui nous emmerdait naguère, en ce moment nous débecte. Non en tant que jeu, ni plus ni moins idiot que n'importe quel autre jeu collectif dont le but n'est que de « vaincre l'adversaire », mais en tant que machine délirante. Ce n'est pas le jeu qui nous est devenu odieux, c'est ce ce qu'il suscite. Le pire, dans le football, aujourd'hui, et dans la Coupe du Monde en ce moment, ce n'est pas le football lui-même : ce sont les supporters. De quelque pays qu'ils soient, les Suisses ne valant pas mieux que les autres. Eux seuls, leurs gestes, leurs mots, ce qui leur tient lieu de pensée dans le temps où le foot la submerge, suffiraient à nous dissuader, si d'aventure nous en avions la tentation ou la faiblesse, d'aimer ce qu'ils célèbrent, de célébrer ce qu'ils aiment, de partager la passion obscène qui les anime comme un marionnettiste anime ses pantins. De ce troupeau, il nous sied d'être le mouton noir. Mais c'est une bien maigre, et bien orgueilleuse, satisfaction.

Ad nauseam

On aimerait pouvoir dire que le Mondial, le sort de l'équipe suisse, le résultat des matches Suisse-Chili ou Suisse-Honduras, on n'en a « rien à foot ». Mais on ne peut déjà plus se contenter de ce haussement d'épaules, ni même, puisque nous sommes en Suisse et que ce sont les supporters suisses que nous subissons, du souhait que les joueurs chiliens et honduriens nous débarrassent du culte vociférant de la « Nati », des appels à l' « unité nationale » (pour quelle cause qui vaudrait la peine d'être « unitaires » avec l'UDC ou le MCG ?) et de la sommation à nous passionner pour ce qui nous indifférait, et que nous commençons à exécrer. Il y a des jours où l'on peine à refaire sienne l'injonction de Spinoza : « ni rire, ni pleurer, mais comprendre ». Elle s'impose, pourtant : si grotesque qu'il soit, le tribalisme footeux ne nous fait plus rire. Si consternante que soit la régression qui s'y manifeste, en pleurer ne serait qu'un aveu de faiblesse. Reste la nécessité de comprendre comment, et pourquoi, une aussi massive connerie peut s'emparer de gens que par ailleurs nous estimons, et dont nous estimons les actes et les prises de position quant ne les submerge pas le crétinisme grégaire qui depuis une semaine tient, ad nauseam, le haut du pavé, à Genève comme dans une bonne partie du monde, puisque cette pollution est « glocale », à la fois globale et locale. Certes, tout est, d'abord, ridicule dans la « fièvre du foot » qui s'est emparée d'une grosse minorité de la population humaine de cette planète depuis le début du Mondial : ridicules, le jeu lui même, les postures des joueurs, les commentaires, les supporters, les génuflexions des politiques, les réactions aux résultats des matches, les polémiques autour des défaites, les congratulations autour des victoires, et on en passe. Mais du ridicule à l'obscène, le pas est plus vite fait qu'on croit : il ne faudrait pas grand'chose pour que les foules hurlantes, klaxonnantes, vuvuzélantes, célébrant comme si elle était la leur ou celle de leur pays, la «victoire», si hasardeuse qu'elle soit, de onze joueurs sur onze autres, se transforment en bien pire que ce qu'elles sont, et que de l'inoffensive connerie collective on passe à une connerie plus meurtrière. Cela, d'ailleurs, s'est déjà produit : il y a peu de la manif de supporters au pogrom ou à la ratonnade. Intellectuellement, si l'on ose dire, cela fonctionne de la même manière, et pour passer de l'une à l'autre, le cerveau reptilien, seul aux commandes en pareilles occasions, n'a besoin que d'une petite étincelle, d'un petit prétexte -ou de quelques litres de bière en plus.

04 juillet 2010

Mondial de foot ? Mondial de fric !

L'Afrique du Sud sous protectorat de la FIFA

Entre les ahanements de sangliers en rut poussés à Roland Garros et les pouêt-pouêt de la caravane publicitaire du Tour de France, on va donc s'offrir pendant un mois, le cirque du Mondial de foot. Entre les petits bobos des joueurs, les états d'âme des entraîneurs et des commentateurs, les calculs des sponsors, les hurlements des supporters, les petites tricheries des matches et les grosses magouilles du sport-pognon, on pourra même se repaître d'une bienpensée du genre de celle produite, le 21 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale, par la Haut commissaire aux droits de l'homme, Navi Pillay, qui, tout en déplorant les incidents racistes qui se sont déroulés ces dernières années dans les stades de football, a cru de son devoir d'ajouter que la Coupe du Monde en Afrique du Sud allait être « une bonne opportunité d'aborder le problème du racisme dans le sport, et d'accroître le formidable potentiel du sport pour éliminer le racisme, la xénophobie et les formes similaires d'intolérance dans l'ensemble de la société » Comme si le Mondial avait encore le moindre rapport objectif avec le sport, et était autre chose que la matérialisation, pendant un mois, de la gigantesque pompe à fric qu'est la FIFA. Le Mondial, antidote au racisme ? Souvenez-vous du Mondial de 1998, de la France championne du monde, du déferlement d'hymnes au « melting pot black.blanc-beur »... Quatre ans plus tard, qui s'invitait au deuxième tour de l'élection présidentielle ? Zidane ? Non : Le Pen...

Main basse sur l'Azanie

« La différence entre le football et d'autres empires gagnés par la conquête, c'est qu'il n'existe pas de puissance dominante capable d'imposer sa volonté aux autres », déclare Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques. « Pas de puissance dominante », vraiment ? Et la FIFA, alors ? L'Afrique du Sud a littéralement été mise en coupe réglée par la Fédération internationale de foot professionnel : dans chacune des neuf villes hôtes du Mondial, un hôpital privé et un hôpital public ont été partiellement ou totalement réquisitionnés pour l'événement. A Port Elizabeth, bien avant le premier coup de pied dans le premier ballon du premier match, la moitié des lits ont dû être maintenus vides, et les patients s'entasser dans l'autre moitié, être traités à la va-vite, ou carrément refusés et priés d'attendre que la fête à neuneu soit terminée et que la FIFA ait levé le protectorat qu'elle a établi sur la République sud-africaine, dont le gouvernement s'est littéralement vendu à l'organisation faîtière du foot-pognon. Des milliers d'agents de la FIFA ont été déployés pour imposer le respect de l'exclusivité (payante) de l'usage de certains termes, y compris des plus courants. Il est désormais interdit en Afrique du Sud en 2011 d'inscrire « Afrique du Sud-2011» sur une affiche, une enseigne ou un T-shirt. Les petits vendeurs de rues sont pourchassés et repoussés le plus loin possible des stades et des regards des spectateurs des matches. La FIFA s'est arrogée un pouvoir de censure de la presse, en s'octroyant le droit de retirer ou de modifier les accréditations de journalistes mal-pensants et les reportages dont elle-même juge qu'ils seraient nuisibles à ses intérêts. Les droits constitutionnels de manifestation, durement conquis dans la lutte contre l'apartheid, sont suspendus par le régime né de la victoire de cette lutte, et c'est sous un véritable état d'urgence non déclaré que va vivre pendant un mois le pays de Nelson Mandela. Quant aux retombées économiques des jeux du cirque, elles ont été volontairement surévaluées par la FIFA pour convaincre les autorités de se livrer à elle pieds et poings liés. La FIFA annonçait 400'000 visiteurs ? Ils seront sans doute moitié moins nombreux. Le PIB devait croître de 0,7 % ? ile ne croîtra vraisemblablement que de 0,1 %. Et les Sud-africains réalisent qu'ils se sont fait purement et simplement arnaquer, avant de se faire domestiquer. En gros : si le Mondial est bénéficiaire, la FISA empochera le bénéfice, et s'il est déficitaire, l'Afrique du Sud paiera le déficit. Quant aux 150'000 emplois liés à la construction des stades pharaoniques exigés par la FIFA (comme celui du Cap, qui a coûté 600 millions alors que la rénovation ou l'agrandissement de stades existants aurait coûté deux fois moins), ou à la rénovation des routes et des infrastructures, les deux tiers seront perdus dès la fin de la kermesse. Et les employés iront grossir la masse des chômeurs sud-africains (ils sont déjà quatre millions). là où la FIFA passe, le pognon coule, certes. Mais dans les poches de ceux qui en ont déjà, et donc dans les siennes : la FIFA est milliardaire...