21 juillet 2010

Coupe du monde : « Rien à foot » ? si au moins...

Du temps où le football était un sport comme un autre, il ne nous était qu'indifférent. C'était le bon temps. Devenu, d'abord un marché, ensuite une pathologie, le foot nous est devenu insupportable. Ce qui nous emmerdait naguère, en ce moment nous débecte. Non en tant que jeu, ni plus ni moins idiot que n'importe quel autre jeu collectif dont le but n'est que de « vaincre l'adversaire », mais en tant que machine délirante. Ce n'est pas le jeu qui nous est devenu odieux, c'est ce ce qu'il suscite. Le pire, dans le football, aujourd'hui, et dans la Coupe du Monde en ce moment, ce n'est pas le football lui-même : ce sont les supporters. De quelque pays qu'ils soient, les Suisses ne valant pas mieux que les autres. Eux seuls, leurs gestes, leurs mots, ce qui leur tient lieu de pensée dans le temps où le foot la submerge, suffiraient à nous dissuader, si d'aventure nous en avions la tentation ou la faiblesse, d'aimer ce qu'ils célèbrent, de célébrer ce qu'ils aiment, de partager la passion obscène qui les anime comme un marionnettiste anime ses pantins. De ce troupeau, il nous sied d'être le mouton noir. Mais c'est une bien maigre, et bien orgueilleuse, satisfaction.

Ad nauseam

On aimerait pouvoir dire que le Mondial, le sort de l'équipe suisse, le résultat des matches Suisse-Chili ou Suisse-Honduras, on n'en a « rien à foot ». Mais on ne peut déjà plus se contenter de ce haussement d'épaules, ni même, puisque nous sommes en Suisse et que ce sont les supporters suisses que nous subissons, du souhait que les joueurs chiliens et honduriens nous débarrassent du culte vociférant de la « Nati », des appels à l' « unité nationale » (pour quelle cause qui vaudrait la peine d'être « unitaires » avec l'UDC ou le MCG ?) et de la sommation à nous passionner pour ce qui nous indifférait, et que nous commençons à exécrer. Il y a des jours où l'on peine à refaire sienne l'injonction de Spinoza : « ni rire, ni pleurer, mais comprendre ». Elle s'impose, pourtant : si grotesque qu'il soit, le tribalisme footeux ne nous fait plus rire. Si consternante que soit la régression qui s'y manifeste, en pleurer ne serait qu'un aveu de faiblesse. Reste la nécessité de comprendre comment, et pourquoi, une aussi massive connerie peut s'emparer de gens que par ailleurs nous estimons, et dont nous estimons les actes et les prises de position quant ne les submerge pas le crétinisme grégaire qui depuis une semaine tient, ad nauseam, le haut du pavé, à Genève comme dans une bonne partie du monde, puisque cette pollution est « glocale », à la fois globale et locale. Certes, tout est, d'abord, ridicule dans la « fièvre du foot » qui s'est emparée d'une grosse minorité de la population humaine de cette planète depuis le début du Mondial : ridicules, le jeu lui même, les postures des joueurs, les commentaires, les supporters, les génuflexions des politiques, les réactions aux résultats des matches, les polémiques autour des défaites, les congratulations autour des victoires, et on en passe. Mais du ridicule à l'obscène, le pas est plus vite fait qu'on croit : il ne faudrait pas grand'chose pour que les foules hurlantes, klaxonnantes, vuvuzélantes, célébrant comme si elle était la leur ou celle de leur pays, la «victoire», si hasardeuse qu'elle soit, de onze joueurs sur onze autres, se transforment en bien pire que ce qu'elles sont, et que de l'inoffensive connerie collective on passe à une connerie plus meurtrière. Cela, d'ailleurs, s'est déjà produit : il y a peu de la manif de supporters au pogrom ou à la ratonnade. Intellectuellement, si l'on ose dire, cela fonctionne de la même manière, et pour passer de l'une à l'autre, le cerveau reptilien, seul aux commandes en pareilles occasions, n'a besoin que d'une petite étincelle, d'un petit prétexte -ou de quelques litres de bière en plus.

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