26 janvier 2010

EXPLORATION DES TROUS DE LA PRAILLE ET DE L'EUROFOOT

SPÉLÉOLOGIE FINANCIÈRE : EXPLORATION DES TROUS DE LA PRAILLE ET DE L'EUROFOOT

Lorsque la décision a été prise de construire un nouveau stade, le projet a été mis au concours, et le projet primé prévoyait 25'000 places assises (soit, déjà, 10'000 de plus que nécessaire). Le 19 juin 1997, le Grand Conseil vote un premier crédit de 20 millions de francs. A ce stade, si on ose dire, le projet est devisé à 64 millions, plus 4 millions de TVA, soit un total de 68 millions.
La rénovation du stade des Charmilles, pourtant appelé à disparaître, et celle des terrains de Balexert, ajoutent 3,8 millions à la facture. Fin 2000, le projet définitif passe de 25'000 à 30'000 places, et son coût grimpe de plus de 20 millions, pour atteindre 93 millions. Parallèlement, la facture pour les rénovations de Balaxert et des Charmilles augmente d'un million.
Fin 2003, le stade est ouvert : la facture a grimpé de 25 millions supplémentaires, du fait d'aménagements supplémentaires non prévus au projet initial (pour 9,1 millions), d'aménagements de sécurité et de déplacement des infrastructures CFF (pour 10 millions) et d'autres modifications. Le coût du stade atteint 117 millions.
A l'été 2007, l'UEFA impose de nouvelles normes pour les stades appelés à recevoir des matches qu'elle organise. Surcoût : 14 millions. On atteint les 131,6 millions. De 68 millions au départ, le coût du stade sera passé en dix ans (1997-2007) à au moins 140 millions -et la facture n'est pas close. Le canton a déversé 24,4 millions dans ce trou, la Ville de Lancy 6 millions, la Confédération 5 millions, la Ville de Genève 5 millions, le Fonds d'équipement communal a été contraint de verser 18,8 millions. Jelmoli a déboursé 36 millions (mais ça n'est pas une subvention, c'est un loyer), le Crédit Suisse a prêté (et entend bien se les faire rembourser) 20 millions, une souscription publique a rapporté 3,8 millions, le Sport Toto a accordé une subvention de 700'000 francs et on a 300'000 francs de subventions diverses.

Il y a trois ans, onze millions de travaux étaient encore dus à l'entreprise Zschokke (Implenia) qui avait construit le Stade. Les électeurs de la Ville ayant massivement refusé (à plus de 70 %) d'accorder un prêt de 2,5 millions à la Fondation du Stade, l'Etat a pioché onze millions dans le Fonds d'équipement communal, après avoir en avoir modifié les statuts pour s'autoriser ce racket.

Quant à l'Eurofoot, les seuls coût de sa sécurisation devraient se monter à (au moins) 100 millions au plan suisse. A Genève, il devrait coûter au moins 28 millions, pour des retombées en termes de chiffre d'affaire se situant dans une fourchette de 10 à 50 millions.
L'Eurofoot coûtera au moins aux collectivités publiques genevoises :
14,6 millions pour l'adaptation du stade de la Praille aux exigences de l'UEFA
7,2 millions pour la sécurité
2,6 millions pour les manifestations annexes
1,8 million pour les coûts liés aux transports
1,5 million pour les coûts de coordination de l'organisation
1,3 million pour la promotion touristique (baudruche comprise ?)
Les coûts liés à la mobilisation des services de voirie ne sont apparemment pas compris dans ces chiffres. Ni, apparemment, les heures supplémentaires de la police, l'utilisation de locaux publics (comme l'Université pour le "Media Center") etc...

En termes financiers, l'Euro2008 c'est (selon les chiffres de l'UEFA) :
- 1,3 milliard de francs de droits de retranmission TV (42,3 % de plus qu'en 2004), soit 60 % des recettes
- 461 millions de francs de sponsoring et merchandising (57 % de plus qu'en 2004), soit 21 % des recettes
- 215 millions de francs retirés de la location des loges "VIP" (plus du quintuple qu'en 2004), soit 12 % des recettes
- 149 millions de francs de billetterie (17,3 % de plus qu'en 2004), soit 7 % des recettes
- un total de recettes de 2,117 milliards de francs (50 % de plus qu'en 2004)
- Des dépenses d'organisation de 977 millions (150 % de plus qu'en 2004)
- un bénéfice net de 412 millions(28,4 % de plus qu'en 2004)
et que fait l'UEFA de tout ce pognon ? Martin Kallen, responsable de l'organisation de l'Euro a beau dire que l'UEFA veut "redistribuer le plus d'argent possible à ses 53 fédérations nationales et à ses programmes de solidarité", en réalité elle en redistribue moins d'un septième aux équipes participants (294 millions), et à peine un tiers aux "programmes de solidarité". Les fédérations nationales de l'UEFA (y compris celles des équipes participantes) recevront, en tout, 450 millions d'euros La distribution aux équipes participantes représente un peu plus de la moitié des seules ressources de sponsoring et moins que ce que l'UEFA gardera pour elle. Quant aux programmes de "solidarité", ils atteignent péniblement le 60 % des seuls droits de retransmission TV. Les contributions des sponsors et les droits de télévision sont versés directement à l'UEFA (qui encaisse ainsi près de 1,8 milliard), les premiers par l'intermédiaire de sa division "UEFA commercial marketing", les se
conds par "Marketing & Media Rights", qui a sous-traité la négociation des droits à une société française, Sportfive, filiale du groupe Lagardère. Une fois payés les frais d'organisation, redistribuée la petite part des équipes participantes, des programmes de solidarité et les subventions aux associations, l'UEFA pourra capitaliser plusieurs centaines millions de francs, sur lesquels elle ne payera pratiquement pas un sou d'impôt.
Pour faire fonctionner à plein sa pompe à fric, l'UEFA a créé fin 2004 une filiale, Euro 2008, une société anonyme holding que l'UEFA détient à 100 % et qui payera quelques millions de francs d'impôt, en tant que "holding de services", comme "New Media technologie" (qui fera une vingtaine de millions de francs de bénéfices). Mais l'UEFA en tant que telle ne paiera pas un sou d'impôt, alors qu'elle retirera plus d'un milliard de francs du tournoi et que le total de ses recettes budgetée pour 2007-2008 atteint les trois milliards (dont moins de la moitié sera redistribué aux équipes participantes), soit un milliard de plus que lors de l'exercice précédent, et que ses fonds propres se montent à 732 millions, soit 300 millions de plus qu'en 2006-7... Résultat : la fédération européenne de foot professionnel dégage plus de chiffre d'affaire que la fédération mondiale, et est la fédération sportive la plus puissante du monde.

Selon une étude macro-économique réalisée par le bureau privé Rütter+Partner, et publiée par l'Office fédéral du sport, sur l'importance du secteur sportif (défini en un sens très, très large : on y inclut (en plus du sport proprement dit, amateur ou professionnel) les remontées mécaniques, le fitness et la muscu, le commerce d'appareils, articles et vêtements, le tourisme et même les accidents sportifs), le secteur générerait 80'000 places de travail (plus que l'industrie pharmaceutique, l'horlogerie ou les assurances), soit 2,5 % du "marché de l'emploi" en Suisse, à peu près autant que l'industrie mécanique. Le chiffre d'affaire du secteur dépassait les quinze milliards en 2005, sa valeur ajoutée brute atteindrait 8 milliards, sa part au produit intérieur brut 1,8 %, juste un peu moins que les 2 % de l'industrie de l'alimentation, des boissons et du tabac.