06 mars 2014

Jeux Olympiques de Sotchi et de Poutine : Derrière le décor du village Potemkine

Une semaine après que les Jeux Olympiques d'hiver de Sotchi se fussent ouverts, on en avait déjà plus que marre, d'être sommés de hurler de plaisir après une « victoire suisse » (vive la libre circulation des champions...) ou de pleurer de désespoir après une plantée helvétique, de devoir se passionner pour des compétitions dans des disciplines dont on ne connaissait même pas l'existence, de saluer des « exploits » dont on se contrefout et de s'intéresser à la statistique des médailles par pays. On nous rétorquera que « si on n'aime pas ça, faut pas en dégoûter les autres » -le problème est que « ça », il est presque impossible d'y échapper (et d'échapper à Poutine) en ce moment dès qu'on ouvre un journal, qu'on allume une radio ou une télé ou qu'on facedebouquise. Il n'est donc pas interdit de rappeler à quoi ressemble la réalité russe derrière le décor du village Potemkine olympique...

La défense des droits humains n'est pas une discipline olympique. La chasse au pognon, si.

Les J.O. de Sotchi, les plus chers de l'histoire des JO d'hiver, auront coûté à la Russie 46 milliards de francs (suisses, les francs, pas CFA...). On comprend dès lors mieux l'exercice de génuflexion auquel le patron du CIO, Thomas Bach, s'est livré devant Poutine : « sans votre implication personnelle, tout cela n'aurait pas été possible». On connaît l'« implication personnelle » de Poutine dans les jeux du cirque d'hiver, mais on n'aurait garde d'oublier celle, bien plus rude, des 70'000 personnes taillées et corvées à merci pour qu'ils se tiennent, ces jeux.
« Sport et politique sont inséparables », reconnaissait, dans le Matin Dimanche d'il y a dix jours, l'un de nos gourous, l'ancien Conseiller fédéral Adolf Ogi. On n'aura donc garde non plus d'oublier ce qui, derrière le rideau du village Potemkine olympique (Poutine serait-il flatté d'être la Grande Catherine de cette opération ?) fait la réalité politique de la Russie poutinienne : les lois discriminatoires, la répression violente de manifestations pacifiques, les restrictions à la liberté d'expression et à la liberté d'association, les arrestations arbitraires (même suivies de libérations médiatiques), la corruption, les pratiques des forces de sécurité, culminant dans celle de la torture et des exécutions extra-judiciaires, l'obsession homophobe, le retour des camps de travail et de la chasse aux «parasites », c'est-à-dire les sans-papiers et sans domicile, que l'on propose de conduire de force dans d'anciens kolkhozes transformés en lieux de «redressement» social. Tout cela correspond pleinement à l'idéologie exprimée par l'ancien lieutenant-colonel du KGB devenu adepte du discours identitaire : en septembre dernier, il exposait sa doctrine, un mélange de religion orthodoxe, de tsarisme messianique, de référence à la « civilisation chrétienne », d'autoritarisme, de machisme et d'homophobie, face à une Europe en «perte d'identité due à la perte des valeurs chrétiennes» et au renoncement « à ses racines, à son idéologie traditionnelle, culturelle, religieuse, et même sexuelle »...

La défense des droits humains n'est pas une discipline olympique. Ni d'été, ni d'hiver. Ni à Sotchi, ni ailleurs. En revanche, la course au pognon l'est -mais n'y concourent que le Comité international olympique et ses sponsors :  la cérémonie d'ouverture (pharaonique) des JO d'hiver 2014, à Sotchi, n'avait pas encore déroulé ses premiers fastes (staliniens) que le Comité international olympique annonçait la bonne nouvelle -celle qui lui importe bien plus, puisqu'elle pèse d'un poids financier, que les résultats sportifs des JO : Panasonic a signé un contrat d'exclusivité avec le CIO jusqu'en 2014. On ne sait pas combien Panasonic va payer, puisqu'une clause de confidentialité exclut de rendre ce montant public, mais cela doit au moins, selon des sources crédibles, atteindre les 100 millions de dollars, et peut-être les 200 millions. Pour n'être que « partenaire local » (brésilien) aux JO d'été 2016, Nissan aurait dépensé 250 millions de dollars, et cinq contrats passés avec le comité d'organisation brésilien avaient déjà rapporté 570 millions de dollars en 2012. « Le prix pour être partenaire principal (du CIO) doit refléter les conditions du marché », explique le CIO. On ne saurait mieux dire que ce sont ces conditions-là, celles de la compétition entre sponsors, et pas celles des compétitions sportives, qui sont déterminantes.
Cela dit, nous, on aime bien le curling : ça nous rappelle la pétanque. Et du coup, on se demande pourquoi la pétanque et la boule lyonnaise ne sont pas disciplines olympiques. Et Ricard sponsor officiel des Jeux Olympiques (d'été).