31 octobre 2009

LES AVENTURES DE RORO

Ramené manu policiari de Madrid à Genève le 11 octobre dans un avion médicalisé (le transfert a dû coûter dans les 100'000 balles, d'autant que la France avait refusé le transit de Roro par son territoire), inculpé de gestion fautive, banqueroute frauduleuse, escroquerie, abus de confiance, l'ancien patron du FC Servette, Marc Roger s'est vu refuser ensuite à moult reprises sa mise en liberté provisoire, le 19 octobre, le 14 décembre, le 5 février, le 12 février, le 4 avril, le 20 mai, le 4 juin, le 28 juillet. A chaque fois le même argument pour le même refus : le risque de fuite, chat échaudé craignant l'eau froide, et de collusion (faut dire que du naufrage du Servette, Roro est le seul responsable éventuel à être en tôle). Le dossier ayant été transmis au Ministère public, la Chambre d'accusation a estimé que le risque de fuite était aggravé, et le Tribunal fédéral a confirmé. Pourtant, Roro a tout osé : il a non seulement promis, juré, qu'il ne s'enfuirait pas, mais même assuré qu'il voulait rester à Genève... pour reprendre le Servette, grâce au règlement de créances impayées pour 30 millions de francs.
Le procès de Roro devrait s'ouvrir le 1er septembre, devant la Cour correctionnelle avec jury. Pluie annoncée de témoins (pas moins de 95) plus ou moins crédibles et plus ou moins utiles à la manifestation de la vérité : Pelé, Bernard Tapie, Alain Morisod, Guy Roux (increvable entraîneur de l'AJ Auxerre), Thierry Henry, Patrick Vieira, Claude Makelele (joueurs français), Roman Abramovic (milliardaire russe, président du FC Chelsea), Sepp Blatter (président de la fédération du foot-pognon)... D'ici là, et pendant tout le procès, le bouc émissaire doit rester dans son enclos, estiment les parties civiles. Les avocats de Roger étaient évidemment d'un autre avis, estimant qu'une détention préventive de deux ans est disproportionnée par rapport à la peine encourue, et proposaient sa mise en liberté conditionnelle contre une caution de 40'000 francs, que le parquet estimait insuffisante -sans pour autant s'opposer à la remise du bouc émissaire en stabulation libre, mais moyennant une caution plus élevée. Roro affirme être totalement fauché, mais la justice genevoise a enquêté sur un compte qu'il avait ouvert en 2001 au Luxembourg, et dont la rumeur suggérait qu'il était encore crédité d'un petit million, alors que lui affirmait qu'il était à sec depuis 2003. C'est presque le cas : le compte a été en grande partie vidé avant l'arrivée de Roro au Servette en 2004. Il avait été alimenté en 2001 et 2002 par des commissions versées pour le transfert du joueur Clude Makelele en Espagne.
Dans la même procédure que Roro sont impliqués son ancienne avocate, Marguerite Fauconnet, le patron d'une fiduciaire zurichoise et l'ancien administrateur du Servette FC, Olivier Maus, qui s'est opposé à ce que sa déclaration fiscale soit versée au dossier, a demandé des compléments d'expertise financière (qui lui ont été refusée) et accuse de la faillite du SFC son ancienne équipe dirigeante, dont son ancien président, l'actuel Conseiller national libéral Christian Lüscher, ainsi que les deux anciens administrateurs Olivier Carrard et Alain Rolland (de Jelmoli) que Maus accuse d'avoir tout fait pour repousser une faillite inéluctable, et d'avoir enjolivé la situation du SFC pour pouvoir le fourguer, moribond, à Roger. Même les accusateurs de Marc Roger sont d'accord que "le club a été artificiellement sauvé" en 2004, et que "tout le monde a été dupé", comme le reconnaît le procureur Zanni, pour qui il est "risible de dire qu'on ne savait pas" que le club avait besoin de 15 millions "pour sortir la tête de l'eau"... "J'ai acheté le club en croyant qu'il avait un passif de 4,5 millions de francs. En réalité, il était de 14,5 millions. Les dirigeants du Servette FC qui m'ont vendu le club ont dilapidé l'héritage légué par Canal Plus", a déclaré (en octobre dernier) Marc Roger, qui a promis qu'il allait "prochainement" publier sur internet les preuves comptables qu'il s'est fait avoir par les dirigeants du Servette à l'époque où il l'a acheté. On attend. Avec impatience.
En attendant, Roro est seul à payer les pots cassés. Et ça fait 20 mois qu'il est au gnouf.Au passage, son avocat, Alain Marti, a été inculpé de faux dans les titres, pour avoir produit un document selon lequel un notaire genevois disposerait de l'argent pour "sauver Servette" de la faillite. Et même largement : selon ce "document", près de six milliards de francs seraient en mains du notaire, ce pactole provenant d'une invention géniale d'un Libanais, Joseph Ferraye, qui aurait découvert le moyen d'éteindre les puits de pétrole incendiés en Irak. L'avocat de Roger se trouvait donc à l'automne 2007 inculpé pour avoir produit le document supposé prouver que le notaire détenait cette fortune. L'avocat admet avoir produit le document, mais plaide la bonne foi. Celle du charbonnier, sans doute.

Pour compléter le palmarès de Roro, on l'accuse non seulement d'avoir à lui tout seul coulé le Servette, mais aussi d'avoir payé des hommes de main pour menacer un débiteur récalcitrant, et tenter de lui extorquer 150'000 balles. Dans cette affaire, Marc Roger n'est cependant entendu qu'à titre de témoin, puisque ce sont les hommes de main qui sont passés devant le tribunal en novembre.

Roro n'est d'ailleurs pas seulement accusé devant la justice genevoise, il est aussi de temps à autre accusateur. Le 16 janvier, il est sorti de sa geôle pour accuser devant le Tribunal de police un ancien journaliste du "Temps", contre qui il a porté plainte pour diffamation et qu'il accuse d'avoir par un article paru en décembre 2004 fait capoter le sauvetage du Servette par de mystérieux investisseurs russes, qui étaient (selon Roro) prêts à y balancer trois millions de francs, mais y auraient renoncé après avoir lu dans l'article que Roro était recherché par la police espagnole pour avoir falsifié une lettre de change et avoir été compromis dans la faillite du club de foot FC Lorca.

Pour couronner le tout, le père de Roro s'est lui aussi retrouvé au gnouf, à la mi-novembre, et pour un peu moins de deux ans, pour abus de biens sociaux, faux et usage de faux: il avait utilisé les fonds de deux sociétés, à raison de 2,7 millions d'euros, pour nourrir le club de foot dont il était président, l'Olympique d'Alès (l'argent a servi à payer des loyers, des déménagements et des cadeaux aux joueurs et à leurs proches).

Enfin, Roro a écrit (ou plutôt fait écrire par le journaliste Michel Biet) ses mémoires. Il avait commencé à le faire juste avant son arrestation, en février, mais n'a pas trouvé d'éditeur, parce qu'il demandait une avance excessive sur ses droits d'auteurs. L'agence de presse DATAS a obtenu une copie des Mémoires de Roro, et "Le Courrier" nous en a fait un chti résumé (dans son édition du 25 juin). Roro décrit les réseaux de copinage, les magouilles et les habitudes du "footbusiness", mais n'apporte pas de révélations particulières : il nous décrit un milieu pourri, qu'on savait déjà pourri avant qu'il nous le décrive. Il se présente lui-même comme la victime d'un système mafieux, qu'on sait pertinemment être mafieux. Il regrette d'avoir mis quinze ans pour comprendre qu'il se trouvait dans un "milieu sans foi ni loi", ou "tout est permis pour la vente ou l'achat d'un joueur", et où règnent "les arrangements, les dessous de table, les retro-commissions, les menaces, les parties de poker menteur, les arnaques", avec comme acteurs des joueurs "âpres au gain", des dirigeants, des agents, des "intermédiaires véreux" et des entraîneurs, "prêts à tout, pour toujours plus d'argent", le tout sur fond de retro-commissions, de fraude fiscale, d'évasion fiscale, de transactions en liquide ou par chèques sur des comptes dans des paradis fiscaux... le sport professionnel, quoi, dans toute sa beauté.

Fin mai, la mise aux enchères des reliefs du Servette de Marc Roger (les affaires saisies lors de la faillite de la SA) ont pris des allures de bradage. la machine à imprimer les maillots, qui vaut 10'000 balles, est partie pour 500 balles, la veste de Roro et une vingtaine de survêtements sont partis pour 90 balles, les maillots estampillés du nom des joueurs ont plafonné à quelques dizaines de thunes.

10 octobre 2009

LE DESERT DE LA PRAILLE
Le président de la Fondation du stade, Benoît Génecand, a eu un gros coup de fatigue, et a démissionné. Pas de la fondation du stade, mais de la direction du projet "Praille-Acacias-Vernets" (PAV), où il avait été nommé par le Conseiller d'Etat Mark Muller. Explication de Genecand, sur le fait qu'il reste à la tête de la fondation du stade mais quitte celle du projet PAV : la présidence du Stade "n'a rien de comparable en termes de charges". Sauf de charges sur les caisses publiques, mais ça, c'est pas un problème pour Muller.

Le président du Servette FC, Francisco Vinas, estime que pour couvrir les seuls frais de l'utilisation (location du stade, sécurité, éclairage) du terrain vague de la Praille par le club, il faudrait que les matches attirent 1500 spectateurs payants. Ils n'en attirent souvent pas la moitié, et n'atteignent que très rarement cette fréquentation minimale nécessaire pour que le club ne perde pas de l'argent en utilisant le stade. Quant au stade lui-même, il lui faudrait en gros 14'000 spectateurs par match de l'équipe locale pour être rentable. Or il n'atteint pas le dixième de cette jauge :
Le 28 octobre 2007, Servette reçoit Lugano à la Praille : 2010 spectateurs. Le stade est vide à 93 %
Le 11 novembre, Servette reçoit La Chaux de Fonds à la Praille : 1210 spectateurs. Le stade est vide à 96 %
Le 2 décembre, Servette reçoit Gossau à la Praille : 759 spectateurs. Le stade est vide à 97 %
Le 24 février 2008, Servette reçoit Concordia à la Praille : 1782 spectateurs. Le stade est vide à 94 %
Le 19 mars, Servette reçoit Vaduz à la Praille : 839 spectateurs. Le stade est vide à 97 %.
Le 5 avril, Servette reçoit Schaffhouse à la Praille : 1117 spectateurs. Le stade est vide à 96 %
Le 16 avril, Servette reçoit Locarno à la Praille : 1063 spectateurs. Le stade est vide à 96 %
Le 21 avril, un match de gala avec de nombreuses vedettes du foot (Karembeu, Lizarazu, Zidane, Cantona...) attire 19088 spectateurs à la Praille. Même alors, le stade est au tiers vide.
Le 28 avril, Servette reçoit Lausanne à la Praille : 2011 spectateurs. Le stade est vide à 93 %.
Le 7 juin, le Portugal et la Turquie se rencontre dans le cadre de l'Eurofoot : 29'106 spectateurs. Le stade est enfin presque plein (à 97 %). Il le restera pour les deux autres matches de l'Euro joués à Genève.
Le 26 juillet, Servette reçoit Lugano à la Praille : 1531 spec tateurs. Le stade est vide à 95 %.

02 octobre 2009

Acharnement thérapeutique

Une subvention pour la Fondation du Stade de la Praille ?

Cet automne, vraisemblablement entre l'élection du Grand Conseil et celle du Conseil d'Etat, le Grand Conseil (l'actuel, sans doute) se prononcera sur une nouvelle proposition de ponction des caisses publiques pour alimenter celles de la fondation privée du stade de Genève. Deux propositions sont en concurrence : celle de la majorité de droite (sans l'UDC, qui s'oppose à tout financement public de la fondation), qui accorde 700'000 francs à la fondation pour lui éviter la faillite, et celle des socialistes et des verts, qui limitent l'aumône à 500'000 francs (pour tenter d'éviter un référendum). Par rapport aux neuf millions sur quatre ans que l'inénarrable Mark Muller demandait initialement, on est certes devenu, enfin, un peu raisonnable dans ce dossier foireux, mais on s'obstine toujours à pratiquer à l'égard d'une fondation privée au bord de la faillite un acharnement thérapeutique absurde, auquel on ne saurait répondre, charitablement, qu'en faisant appel à Exit ou Dignitas. La fondation est au bord de la faillite ? Faisons-lui faire un grand pas en avant...

Les millions de la casserole
Après le racket, le chapardage ; après le pompage de dizaine de millions, le goutte-à-goutte de centaine de milliers de francs… on est apparemment devenus modestes, ou prudents, mais la méthode reste la même : utiliser les caisses publiques pour remplir celles de la fondation du stade. D'autant qu'à la subvention proposée s'ajoutent quelques autres cadeaux publics : le report du remboursement des dettes de la fondation à l'égard de la Ville de Lancy, et le règlement par l'Etat à la place de la fondation de la rente de superficie de 325'000 francs due aux CFF. Ce qui fait qu'au bout du compte, si la proposition de la majorité de la commission des finances du Grand Conseil était acceptée, le cadeau à la fondation dépasserait le million. C'est-à-dire la limite au-delà de laquelle le Comité de citoyennes et citoyens contre tout financement public du stade lancera un référendum. Et ce ne sont pas les " conditions " qu'on fait mine de poser à la fondation pour lui accorder une subvention qui nous dissuaderont de le lancer : la fondation est hors d'état de respecter ces conditions (un nouveau contrat de prestations, un business plan, un " certain dynamisme commercial " et la découverte miraculeuse d'autres " solutions d'assainissement à long terme ", tous engagements qui ne valent pas mieux que ceux pris par la fondation depuis bientôt une décennie, et qu'elle n'a jamais été capable de tenir). Un référendum permettrait certainement (si la subvention est de 700'00 francs) ou peut-être (si elle est de 500'000 francs) aux citoyennes et aux citoyens du canton, et pour la première fois (ceux de la Ville se sont déjà prononcés, et clairement), de dire ce qu'ils pensent de ce morne feuilleton. Et probablement d'en dire qu'il convient d'y mettre fin, et que la seule " solution d'assainissement à long terme " de la Fondation du du stade de la Praille est son abandon pure et simple, total et définitif par les collectivités publiques. On ne va tout de même pas traîner cette casserole pendant encore quarante ans...