27 février 2012

Vous avez aimé le stade de la Praille ? vous adorerez la patinoire du Trèfle !

Broutez du Trèfle !

Jouez hautbois, résonnez trompettes : le canton, la Ville de Genève (apparemment, la Ville de Lancy compte pour beurre... c'est pourtant sur son sol qu'on va installer la baratte) et le Servette Hockey Club se sont mis d'accord pour construire une nouvelle patinoire, d'ici à on ne sait pas très bien quand (2015 ? 2018 ? 2020 ?) au « Trèfle-Blanc», près du Bachet de Pesay, et ne pas rénover outre mesure la quinquagénaire patinoire des Vernets, pour la rénovation de laquelle on a pourtant déjà claqué une vingtaine de millions de francs (dont une partie consacrée à l'amélioration du confort des fessiers des « VIP »). « L'abandon des Vernets est un bon projet », assure la « Tribune ». Aussi bon sans doute que celui, applaudi par la même «Tribune », du stade des Charmilles. Restent les questions qui fâchent : qui va payer ? Combien ? Et qui va exploiter le futur complexe sportif lancéen ? Marc Roger ? Bulat Chagaev ?

De la bigorexie politique, de ses symptômes et de son traitement

C'est une affection peu connue, mais qui fait des ravages. Elle est même endémique : on l'appelle la bigorexie; ce n'est pas une forme pathologique de bigoterie (quoique...), c'est une addiction au sport. Une toxicomanie reconnue comme telle par l'OMS : la maladie de celles et ceux dont la pratique d'une discipline sportive tourne à l'obsession et bousille la vie -souvent sans même qu'ils et elles s'en rendent compte. Entre 10 et 15 % des sportifs ayant une pratique intensive de leur sport en souffrent, de bigorexie, et sacrifient tout à leur addiction : famille, vie sociale, loisirs, vacances, santé physique et psychique, carrière professionnelle. Toute leur vie est organisée autour de leur sport. Et les symptômes de l'état de manque sont les mêmes que ceux des autres addictions. 43 % des joggeurs, et entre 68 et 74 % des marathoniens en souffrent lorsqu'ils ne joggent ou ne marathonent plus, ou plus assez. Une vraie toxicomanie, mais sans drogue. La libération dans le cerveau d'endomorphines aux mêmes effets que les opiacés en tiendra lieu, et la baisse de la libération de dopamine (provoquée précisément par les endomorphines) produira les mêmes effets de sevrage que ceux d'un sevrage d'héroïne : anxiété, insomnie, douleurs.

Ainsi donc, les choses devraient être claires : la pratique obsessionnelle d'un sport est une toxicomanie à traiter comme telle. Seulement voilà : cette pratique est favorisée par le contexte culturel et médiatique, par le discours tenu sur le sport (qui est comme chacun sait « bon pour la santé » -d'aucuns ajoutant même qu'il éloigne de la toxicomanie, quand il ne fait qu'en remplacer une par une autre-, par le culte de la performance et l'injonction au « dépassement de soi » (comme si on pouvait se dépasser soi-même, ou tirer plus vite que son ombre...). Résultat : il est encore plus difficile de traiter la bigorexie que l'héroïnomanie ou la cocaïnomanie : d'abord, parce que le malade nie sa maladie, et la revendique comme un bienfait, la valorise, avec l'accord de son milieu (d'autant qu'il s'est lui-même coupé de tous ceux qui pouvaient le critiquer et lui faire admettre son comportement comme une addiction). Ensuite parce qu'il est de bon ton, et de bon usage politique, de tartiner sur les vertus du sport. Et de faire claquer ensuite par les collectivités publiques des sommes faramineuses pour que ces fort hypothétiques vertus puissent s'exposer.

Et c'est ainsi que nous apprêtons, à Genève, à édifier un nouveau bigorex-cirque : une patinoire de 10'000 places à Lancy. Le canton de Genève, la Ville de Genève, le club de Hockey en ont décidé ainsi, paraît-il. En oubliant Lancy ? En oubliant que ce ne sont pas eux qui vont décider mais vraisemblablement, après un parcours du combattant qui va durer des années, d'enquête publique en préavis, de préavis en oppositions, d'oppositions en recours et de recours en référendum, le bon peuple ? A qui il faudra bien donner réponses à quelques triviales questions : Combien la Ville de Genève devra-t-elle payer pour une nouvelle patinoire installée hors de son territoire, après qu'on l'ait privée des ressources fiscales de l'imposition au lieu de travail des contribuables habitant précisément hors de son territoire ? Et d'ailleurs, combien va-t-elle coûter, cette patinoire (ou plutôt, ce centre sportif -il n'y manque qu'un centre commercial pour ressembler à la Praille comme un petit frère à son aîné) ? 70 millions ? 100 millions ? Plus ? A quoi va ressembler le « business plan » que le Club présentera? A un plan sur quelle comète ? Il y a en tout cas une question à laquelle nous pouvons déjà donner réponse : si ce « business plan » implique une participation financière de la Ville supérieure au coût d'une votation municipale après lancement d'un référendum, référendum il y aura. Parce que la bigorexie politique, ça se soigne. Par la politique elle-même, en démocratie.