28 juin 2012

Plus que quatre jours de diarrhée footeuse...

Tenir, tenir...

Une demie-finale de tirée, en reste une demain, et dimanche, on en aura donc enfin, et c'est pas trop tôt, fini avec l'Eurofoot. Mais pas avec le sport professionnel, ses jeux du cirque, ses préparations médicamenteuses, les masses de pognon qui s'y investissent et la décérébration collective qui l'accompagne. On en aura fini avec l'Eurofoot, mais Juillet, c'est le mois du Tour de France. Et du pot belge. Bah, au moins, à la télé, les retransmissions de la «  grande boucle »  nous font voir de beaux paysages, et c'est toujours ça que celles des matches de foot dans les cuvettes des stades ne peuvent nous proposer...


Eurofoot : vous préférez une finale Espagne-Allemagne à Gernika ou Espagne-Italie sur l'Ebre ?


e ne sont que des matches de foot, 20 grands garçons courant après une baballe avec pour ambition ultime de l'expédier dans une cage gardée par un autre grand garçon. Un jeu, rien qu'un jeu, mais devenu par la grâce des media un spectacle mondial, et par la graisse de l'économie du sport professionel un marché considérable. Mais quel est l'enjeu du spectacle, et que vend-on sur ce marché encombré de corruption, de spéculation et de dopage, ? A prendre au pied de la lettre et au pied du mot le langage guerrier des innombrables commentateurs de la baballe, il doit être considérable, cet enjeu : ce ne sont que défenses enfoncées, batailles et combats (le football n'est donc plus un jeu ?), proclamation  qu'il « faut bien un vainqueur» (ah bon ? et pourquoi diable ?)... Il est loin, le temps du précepte « L'essentiel, c'est de participer »... l'essentiel, aujourd'hui, dans le sport comme dans le plus pur libéralisme, c'est de gagner, et peu importe la manière. Que le plus fort, ou le plus malin, ou le plus riche, gagne, et malheur aux vaincus.


Mais qu'est-ce que cela aurait changé à la situation de la Grèce, si elle avait battu l'Allemagne ? Qu'est-ce que cela changera à la situation de l'Espagne et qu'est-ce que cela aurait changé à celle du Portugal d'aller entendre les hymnes nationaux des finalistes  (et chanter le sien) à Kiev dimanche ? Qu'est-ce que le résultat du match de demain changera à la situation des Italiens ?  Est-ce que l'obsession de « discipline budgétaire » d'Angela Merkel se sera dissipée  si l'Allemagne n'est pas championne du monde (ou si elle l'est) ? Evidemment que non. Evidemment que rien n'aura été changé à rien. Et que les habitants de l'Ukraine n'auront rien gagné à ce que leurs potentats co-organisent la fête à neuneu (le contexte ukrainien est calamiteux ? Et alors ? Tout le monde s'en fout, du contexte ukrainien...). Et même les plus abrutis des supporters de foot le savent bien, une fois sortis de leurs transes : leur exubérance de chaînon manquant entre préhominiens et hominiens tient de tout, sauf de la raison.


Il n'empêche : la mobilisation tripale et tribale, autour des marches de foot, de tout ce qui peut se ramasser de religiosité bas de gamme et de xénophobie ordinaire pose questions -à commencer par celle-ci : qu'est-ce qui peut bien provoquer la transformation d’individus ordinairement intelligents en primates éructants, au bord du suicide quand « leur » équipe perd et au-delà de l'épectase quand elle gagne ? Cela doit bien se situer quelque part, du côté du cerveau reptilien ou de la réminiscence infantile, cette insulte à Darwin, cette déchirure dans le continuum de l'évolution de l'espèce censée nous avoir mené au glorieux statut d'homo sapiens sapiens, d'humain qui sait qu'il sait...  mais alors pourquoi ne sommes-nous pas tous frappés de cette régression ? Pourquoi quelques-uns d'entre nous en sommes préservés alors que tant d'autres, et quelques uns, et même quelques unes que nous ne soupçonnions pas vulnérables à cette régression, la subissent au point de perdre avant, pendant et après match tout langage articulé (les klaxons en tiendront lieu), ou, pire, de n'en garder que ce qui est nécessaire pour proférer des énormités que seule la vacuité de leur prétexte sauve de l'odieux, sans les sauver du ridicule ?

06 juin 2012

L'Eurofoot débute dans deux jours en Pologne et en Ukraine : Du pain, des jeux et des prisons

Hier soir, au Conseil Municipal de la Ville de Genève, une majorité a refusé de traiter avant l'ouverture de l'Eurofoot, vendredi, une résolution socialiste exprimant, en termes pourtant mesurés, la distance que peut prendre une ville comme Genève avec l'état des libertés politiques dans l'un des deux pays organisateurs de la grande fête du ballon rond : l'Ukraine. Elle ne mangeait pourtant pas de pain, ni d'ailleurs de jeux, la résolution : elle demandait simplement que les retransmissions des matches se déroulant en Ukraine, sur écran géant à Genève soient complétées d'un avertissement du genre: « le match que vous regardez se déroule dans un pays ne respectant pas les libertés démocratiques ». Ben non : apparemment, dire l'évidence, ce serait déjà trop dire en pleine footerie européenne.

Etre antisportifs pour les mêmes raisons qu'être anticléricaux et antiracistes ...

'Ukraine a investi dix milliards d'euros dans l'organisation chez elle d'une partie de l'Eurofoot, alors qu'elle rame déjà pour rembourser, au titre de sa dette, un montant équivalent et que personne ne croit un instant qu'elle récupérera les ressources investies  grâce aux spectateurs venus de l'étranger et à leurs dépenses. Les travaux d'infrastructures ont été terminés à temps, mais leur coût a explosé, et il y entre de toute évidence une part importante de dessous de tables et de corruption. Accessoirement, une partie de la population locale fait les frais des mesures prises pour accueillir les spectateurs étrangers : ainsi, les cités universitaires de Kiev ont été réquisitionnées, et leurs habitants étudiants expulsés, sans solutions de relogement. Et pour couronner le tout, en Pologne et en Ukraine, les groupes d'« ultras », chaînons manquants entre les supporters basiques et les hooligans, se distinguent par leur violence, leur racisme, leur antisémitisme...

Pour le pouvoir ukrainien actuel, mais aussi pour une bonne partie de l'opinion publique, et même de l'opposition, l'organisation avec la Pologne de l'Eurofoot 2012 est l'évènement le plus important (ou, avec la « révolution orange » de 2004, l'un des deux plus importants) depuis le retour à l'indépendance, à la chute de l'Union Soviétique. Un événement si important qu'il importe peu au pouvoir, au gouvernement, au président, de savoir ce que leurs homologues européens pensent d'eux : ils savent que ce qui va compter, ce sont les matches, le tintouin autour des matches, les exaltations des supporters, le ramdam continental autour de la baballe -bref, la routine médiatique de toutes les grandes compétitions sportives internationales.

Au premier coup de sifflet du premier match de la compétition, qui, sinon des antisportifs primaires, secondaires et tertiaires dans notre genre, se préoccupera de l'état des libertés politiques en Ukraine ? Du sort de l'ancien Premier ministre Ioulia Timochenko ? (elle n'est pas franchement de notre famille politique, mais elle est en prison depuis l'automne 2011, victime d'une vengeance du pouvoir en place, et elle est si mal en point, et si maltraitée qu'il a fallu début mai, sur pression européenne, la transférer dans un hôpital. Et menacée encore d'au moins deux procès, l'un pour fraude fiscale, l'autre pour complicité de meurtre. Rien que cela...).

La Chancelière allemande et son gouvernement, le président de la Commission européenne et sa commissaire aux sports, le gouvernement français annoncent qu'ils ne se rendront pas en Ukraine tant que Ioulia Timochenko y était persécutée ? Le président Ianoukovitch, son gouvernement, son ministre des Affaires étrangères s'en foutent ouvertement : «  Le sport, c'est le sport, la politique, c'est la politique », savonne le ministre... « Tous les billets de tous les matches en Ukraine ont été vendus », se rengorge le président... et ils ont raison :  le sort des libertés politiques en général, et celui de Ioulia Timochenko en particulier, ne pèsera pas lourd lorsque l'Eurofoot commencera.

« Le sport, c'est le sport, la politique, c'est la politique » , en effet : et quand la seconde est inavouable, le premier la recouvre. Au fait, a-t-il jamais servi à autre chose qu'à cela, depuis qu'il a cessé d'être le plaisir désargenté de jouer pour le plaisir de jouer ? Depuis qu'il a été pris en mains par des Etats, des sponsors, des investisseurs ? Depuis qu'il est devenu la dernière et la plus puissante des religions décérébrantes  ?

Et l'on s'étonnera, et nous blâmera, de nous sentir requis d'être antisportifs pour les mêmes raisons qu'être anticléricaux et antiracistes ...