06 juin 2012

L'Eurofoot débute dans deux jours en Pologne et en Ukraine : Du pain, des jeux et des prisons

Hier soir, au Conseil Municipal de la Ville de Genève, une majorité a refusé de traiter avant l'ouverture de l'Eurofoot, vendredi, une résolution socialiste exprimant, en termes pourtant mesurés, la distance que peut prendre une ville comme Genève avec l'état des libertés politiques dans l'un des deux pays organisateurs de la grande fête du ballon rond : l'Ukraine. Elle ne mangeait pourtant pas de pain, ni d'ailleurs de jeux, la résolution : elle demandait simplement que les retransmissions des matches se déroulant en Ukraine, sur écran géant à Genève soient complétées d'un avertissement du genre: « le match que vous regardez se déroule dans un pays ne respectant pas les libertés démocratiques ». Ben non : apparemment, dire l'évidence, ce serait déjà trop dire en pleine footerie européenne.

Etre antisportifs pour les mêmes raisons qu'être anticléricaux et antiracistes ...

'Ukraine a investi dix milliards d'euros dans l'organisation chez elle d'une partie de l'Eurofoot, alors qu'elle rame déjà pour rembourser, au titre de sa dette, un montant équivalent et que personne ne croit un instant qu'elle récupérera les ressources investies  grâce aux spectateurs venus de l'étranger et à leurs dépenses. Les travaux d'infrastructures ont été terminés à temps, mais leur coût a explosé, et il y entre de toute évidence une part importante de dessous de tables et de corruption. Accessoirement, une partie de la population locale fait les frais des mesures prises pour accueillir les spectateurs étrangers : ainsi, les cités universitaires de Kiev ont été réquisitionnées, et leurs habitants étudiants expulsés, sans solutions de relogement. Et pour couronner le tout, en Pologne et en Ukraine, les groupes d'« ultras », chaînons manquants entre les supporters basiques et les hooligans, se distinguent par leur violence, leur racisme, leur antisémitisme...

Pour le pouvoir ukrainien actuel, mais aussi pour une bonne partie de l'opinion publique, et même de l'opposition, l'organisation avec la Pologne de l'Eurofoot 2012 est l'évènement le plus important (ou, avec la « révolution orange » de 2004, l'un des deux plus importants) depuis le retour à l'indépendance, à la chute de l'Union Soviétique. Un événement si important qu'il importe peu au pouvoir, au gouvernement, au président, de savoir ce que leurs homologues européens pensent d'eux : ils savent que ce qui va compter, ce sont les matches, le tintouin autour des matches, les exaltations des supporters, le ramdam continental autour de la baballe -bref, la routine médiatique de toutes les grandes compétitions sportives internationales.

Au premier coup de sifflet du premier match de la compétition, qui, sinon des antisportifs primaires, secondaires et tertiaires dans notre genre, se préoccupera de l'état des libertés politiques en Ukraine ? Du sort de l'ancien Premier ministre Ioulia Timochenko ? (elle n'est pas franchement de notre famille politique, mais elle est en prison depuis l'automne 2011, victime d'une vengeance du pouvoir en place, et elle est si mal en point, et si maltraitée qu'il a fallu début mai, sur pression européenne, la transférer dans un hôpital. Et menacée encore d'au moins deux procès, l'un pour fraude fiscale, l'autre pour complicité de meurtre. Rien que cela...).

La Chancelière allemande et son gouvernement, le président de la Commission européenne et sa commissaire aux sports, le gouvernement français annoncent qu'ils ne se rendront pas en Ukraine tant que Ioulia Timochenko y était persécutée ? Le président Ianoukovitch, son gouvernement, son ministre des Affaires étrangères s'en foutent ouvertement : «  Le sport, c'est le sport, la politique, c'est la politique », savonne le ministre... « Tous les billets de tous les matches en Ukraine ont été vendus », se rengorge le président... et ils ont raison :  le sort des libertés politiques en général, et celui de Ioulia Timochenko en particulier, ne pèsera pas lourd lorsque l'Eurofoot commencera.

« Le sport, c'est le sport, la politique, c'est la politique » , en effet : et quand la seconde est inavouable, le premier la recouvre. Au fait, a-t-il jamais servi à autre chose qu'à cela, depuis qu'il a cessé d'être le plaisir désargenté de jouer pour le plaisir de jouer ? Depuis qu'il a été pris en mains par des Etats, des sponsors, des investisseurs ? Depuis qu'il est devenu la dernière et la plus puissante des religions décérébrantes  ?

Et l'on s'étonnera, et nous blâmera, de nous sentir requis d'être antisportifs pour les mêmes raisons qu'être anticléricaux et antiracistes ...

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