12 août 2006

Après le racket, la soustraction fiscale ?

De mieux en mieux : on se souvient de la lamentable arnaque mise en scène par le Conseil fédéral pour faire avaler aux parlementaires fédéraux l'organisation en Suisse d'une partie de l'Eurofoot 2008, en présentant une facture ridiculement basse (10 millions), puis, après la décision prise, présenter un début de facture réelle 18 fois plus élevée (182 millions au printemps dernier), et taxer les villes et les cantons "hôtes" (et rackettés), dont Genève, sur la base d'un accord signé aveuglément par l'administration fédérale et l'engageant à couvrir, sans limite, tous les surcoûts liés à la sécurité des manifestations. Ces débuts étaient prometteurs, la suite tiendra ces promesses : on se retrouve aujourd'hui avec une intéressante répartition des tâches, résumée ainsi par l'éditorialiste de la "Tribune de Genève" (du 8 août) : "A l'UEFA (Union européenne de football association) le milliard de retombées financières de l'Euro 2008, aux contribuables, la facture des hooligans". Facture à la laquelle on ajoutera toutes celles liées aux opérations parallèles aux matches.
Brillante opération, qui confirme le fonctionnement remarquable de l'UEFA comme pompe à fric : une pompe aspirante d'argent public et refoulante (dans les caisses de l'UEFA, qui va retirer de colossaux bénéfices de l'organisation de l'Eurofoot, notamment en encaissant de considérables droits de télévision et de partenariat publicitaire, mais qui refuse d'assumer les coûts de sécurité des manifestations qu'elle organise, et les fait assumer par des collectivités publiques, en plus de leur laisser assumer les bastringues connexes qu'on impose aux habitants de quartiers sinistrés par leurs dommages collatéraux.
Mais l'UEFA ne s'est pas arrêtée au racket financier, elle y ajoute désormais la revendication de l'exemption fiscale. L'Association suisse de football, partenaire de l'UEFA dans l'organisation de l'Eurofoot, aurait ainsi promis à celle-ci, sans en informer ni les cantons, ni la Confédération, qu'elle n'aurait pas un sou d'impôt à payer sur les primes distribuées aux joueurs des équipes nationales dispurant des matches en Suisse. De quel droit une association privée (l'ASF) engage-t-elle ainsi les collectivités publiques suisses ? Mystère. Mystère d'autant plus épais que la promesse de l'ASF à l'UEFA est totalement contradictoire des lois fédérales et cantonales. De plus, même si elle pouvait être honorée dans le cadre légal (ce qui n'est pas le cas), elle priverait les collectivités publiques (communes, cantons, Confédération) de millions de rentrées fiscales, dans le même temps où on leur demande de sortir des millions pour garantir la sécurité des matches, et assurer les festivités annexes.
Donc, si jamais (on n'en est pas à une manipulation près) l'accord mafieux passé entre la petite famille de l'ASF et la grande famille de l'UEFA était avalé par les autorités politiques fédérales et cantonales, il en coûterait aux collectivités publiques entre 15 et 20 millions de rentrées fiscales perdues. En gros, ce que coûteraient au canton de Genève les matches de l'Eurofoot prévus à la Praille.
Comme on s'en doute, l'UEFA a sauté sur l'occasion et, sans trop se préoccuper de savoir si l'ASF était habilitée à lui faire des promesses d'exemption fiscale, et si ces promesses étaient compatibles avec la loi, est partie du principe que cette proposition allait être la règle, que les joueurs de l'Euro 2008 ne seraient pas imposés à la source sur leurs primes, et qu'ils bénéficieraient donc d'un privilège. Or les lois fédérales et cantonales sont claires : les sportifs, artistes et conférenciers domiciliés à l'étranger et se produisant en Suisse sont imposés à la source, sur toutes les sommes qu'ils perçoivent pour leurs prestations. D'autant qu'en l'occurence ces sommes leurs seraient reversées, via les fédérations nationales, par une organisation (l'UEFA) dont le siège est en Suisse.
Les administrations fiscales cantonales et fédérale ont donc confirmé à l'UEFA, en 2005, que nul ne peut se soustraire à la loi, qu'il n'y a aucune raison que les Rolling Stones soient imposés lorsqu'ils donnent un concert en Suisse et que les stars du foot européens ne le soient pas lorsqu'ils jouent un match pour lequel ils sont payés et primés. Les collectivités publiques tentent aujourd'hui d'établir un minimum de respect du principe de l'égalité devant l'impôt ? L'UEFA s'asseoit dessus. On impose à la source les nettoyeurs frontalières de l'hôpital, mais faut pas toucher aux footballeurs étrangers. Dans la plupart des pays européens, sportifs et artistes venus de l'étranger sont imposés sur le lieu de leurs prestations ? L'UEFA n'en a cure. Lors des "mondiaux" de foot de 1998 et de 2002 les primes verséles aux joueurs ont été imposées ? l'UEFA ne veut pas le savoir. Lors de l'acceptation du crédit d'organisation de l'Eurofoot, le message du Conseil fédéral précisait que les joueurs seraient imposés, et les organisateurs ne l'ont pas contesté ? l'UEFA ne veut plus s'en souvenir.
Faut-il alors s'étonner, ou s'indigner, de la dernière manipulation en date dans ce dossier pourri ? S'en étonner, sûrement pas : la tentative de soustraction fiscale est prévue dans le mode d'emploi de la pompe à fric. S'en indigner, alors ? Pourquoi pas ? Mais c'est un peu tard.

Les "politiques" déjà grugés par les organisateurs de l'Eurofoot se sont, tardivement réveillés et jouent aujourd'hui les matamores, histoire de sauver ce qui peut encore l'être auprès de l'opinion publique : le Conseiller d'Etat libéral Mark Muller assure que le référendum qui sera lancé contre les crédits alloués à l'organisation de l'euro ne remettra en cause que les événements connexes, mais pas les matches, et que la "sécurité sera assurée" (aux frais des contribuables, mais pas sur un budget spécifique, ce qui permettra aux larbins de l'UEFA de contourner la sanction poulaire). Le radical Pierre Maudet fait dans le mouvement de menton et dénonce un "amateurisme complet dans la conduite des négociations" lors de l'accord signé en 2002 pour l'organisation de l'Eurofoot. Le même Maudet était de ceux qui voulaient que la Ville de Genève rallonge de 2,5 millions et demi les sommes versées dans le trou de la Praille : à amateur complet, amateur et demi... La Conseillère nationale libérale Martine Brunschwig Graf déclare quant à elle qu'il y a "une loi à respecter dans ce pays" et que ça vaut pour les lois fiscales comme pour les autres, et pour l'UEFA et l'ASF comme pour tout le monde. C'est bien de le rappeler. Le problème, c'est que l'UEFA, l'ASF et les pingouins qui ont négocié l'accord de 2002 se croient précisément au-dessus des lois -et surtout au-dessus de l'exigence de la bonne foi.

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