11 décembre 2009

APRES L'EURORACKET, LES J.O.RACKET ?

Deux visionnaires, le directeur de l'Hôtel de Rhône, Marco Torriani, et le président de Genève Tourisme, Jean-Pierre Jobin, ont donc eu une idée de génie, reprise (c'est dire si c'est une idée de génie) par Mark Muller et la "Tribune de Genève" : faire organiser les Jeux Olympiques d'hiver 2018 à Genève. C'est vrai que ça manquait à notre station de sports d'hiver. Torriani et Jobin ont donc monté un comité exploratoire, pompé 200'000 francs au Sport Toto, et sont allés quémander des soutiens moraux divers et variés. Ils ont obtenu notamment celui, comme on s'y attendait, de Mark Muller, toujours partant pour soutenir ce genre de foutaises (invariablement qualifiées de projets "ambitieux et enthousiasmant", youpie !). Dans la "Tribune" du 27 juin, le rédac'chef nous pond carrément un édito orgasmique : Non seulement "l'Euro2008 est un succès total que même le fiasco du Bout-du-Monde ne peut entamer" (faudra qu'on nous explique comment un succès contenant un fiasco peut être total...)" et l'image de la baudruche à Jobin sur le jet d'eau a été une image "parfaite", mais "dans la griserie de l'instant" (raaaah lovely) "un seul projet semble désormais capable de satisfaire l'appétit des nouveaux rois de l'événement" et de leurs porte-plumes : les JO 2018, qui ramèneraient "l'Euro aux dimensions d'une belle fête foraine", et permettraient en plus aux fétichistes de la bagnole et aux drogués du béton de nous coller la traversée routière de la rade, la troisième voie autoroutière et un nouvel aéroport. Reste plus que quelques détails à peaufiner : s'assurer "l'appui des autres cantons, de la Confédération et de la France voisine" (Ruetschi a oublié l'Union européenne et l'ONU, mais ça doit être dans l'exaltation du moment), et surtout du peuple (qui devra se prononcer), de "Swiss Olympic" (l'organe faîtier de l'olympisme en Helvétie), qui avait déclaré renoncer à une candidature suisse pour 2018, et des instances olympiques (qui, comme l'UEFA pour l'Euro, ne donneront pas leur appui mais le vendront, très cher) et du "reste du monde", qui évidemment n'a que ça comme préoccupation essentielle. Les promoteurs des JO de Genève veulent encore trouver une personnalié qui soit la "figure de proue" du projet (Mark Muller pense à Stéphane Lambiel, Pirmin Zurbriggen ou Didier Cuche, c'est dire la hauteur des figures de proue...). Et Marc Roger, alors, on l'oublie ?
Quant à nous, on va devoir tirer les leçons de l'Euroracket pour éviter les JOracket, et nous y prendre assez tôt pour faire capoter un projet encore plus imbécile que celui dont on vient de sortir. Parce que "si la candidature (genevoise) se concrétise, les Genevois devront voter en 2009". Mais aussi, si nous les y convions, à chaque demande de crédit, à chaque projet de loi, à chaque déclassement de zone, en 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017...
De toute façon, une candidature genevoise aux JO de 2018 aurait apparemment peu de chances : les Jeux Olympiques étant organisés non par des pays mais par des villes (ce que Manuel Tornare n'a pas manqué de rappeler à Mark Muller), et les règles de Swiss Olympic (qui n'a d'ailleurs même pas été informée de la pseudo-candidature genevoise, et avait même annoncé qu'il n'y aurait pas de candidature suisse pour les jeux de 2018) imposant une ratification des candidatures par vote populaire (communal ou cantonal, voire les deux), les Genevois (de la Ville en tous cas, et du canton en plus, vraisemblablement) devront obligatoirement être consultés, et pas seulement sur le principe : aussi sur un crédit d'investissement, une subvention, une garantie de déficit -bref, le montant officiel du racket. Racket dont Mark Muller assure qu'il n'a "aucune idée".
Et c'est là qu'on va rigoler. Parce que le budget d'une plaisanterie du genre JO d'hiver va avoisiner les deux milliards (c'était le budget des JO de Turin en 2006), soit deux ans de budget total de la Ville. Dans une Ville (et un canton) incapables de payer les 150 millions de son stade vide, c'est peut-être un peu excessif. Autant dire que le gag de Jobin et Torriani risque de faire long feu. D'autant que pour "Swiss Olympic", une candidature suisse pour 2018 n'aurait "pas de sens et quasiment aucune chance", les jeux précédents (2014) se déroulant déjà en Europe (à Sotchi, en Russie, aux portes de l'Abkhazie et de la Géorgie, va y'avoir du sport) et la règle étant celle d'un tournus entre continents (il y a déjà deux candidatures asiatiques et une candidature américaine).. En plus, Swiss Olympic doute de la ferveur populaire invoquée par Mark Muller. Et Manuel Tornare de la pertinence de la comparaison avec l'Eurofoot : organiser des Jeux Olympiques, même d'hiver, c'est autrement plus complexe que d'accueillir trois matches de foot.

Cela dit, faut les comprendre, les taborniaux qui veulent organiser des JO d'hiver à Piogre : comme l'UEFA, le CIO est une gigantesque pompe à fric (depuis le début de l'ère Samaranch, en 1984). Durant l'olympiade 2004-2008, le mouvement olympique aura perçu cinq milliards de revenus. Plus de la moitié (53 %) des revenus du mouvement olympique proviennent des droits de retransmission télé, les sponsors suivent avec 34 %, la billetterie traîne avec 11 %, les produits dérivés dérivent avec 2 %. Le CIO perçoit 8 % de cette manne et reverse le reste aux comités d'organisation des Jeux, ainsi (mais dans une moindre mesure) aux fédérations des sports olympiques et aux comités olympiques nationaux, et quelques miettes au comité international paralympique et à l'Agence mondiale antidopage. Dans un programme de financement "TOP" (T he Olympic Partner") étaient réunies pour les JO de Pékin douze multinationales (Coca-Cola, Visa, Panasonic, Kodak, McDonald's, Samsung, Lenovo) qui ont payé 866 millions de dollars le droit d'utiliser l'emblème olympique. Dans le Comité d'organisation des JO de Pekin (BOCOG), on trouvait 35 entreprises (la plupart chinoises, mais aussi des multinationales comme Adidas ou Volkswagen) qui payaient chacune 28,5 millions (soit un milliard au total), plus des prestations en nature (VW fournit 5000 véhicules, Adidas habille les volontaires), dans l'attente d'un bon retour sur investissement (Adidas attend un retour immédiat de 100 millions, soit trois fois sa mise, et le doublement de ses points de vente en Chine). Pour la première fois, les montants perçus par le sponsoring national (700 millions) ont dépassé ceux du sponsoring international (500 millions). L'addition des deux n'atteindra toutefois pas le total des droits de télévision : 1,7 milliard de dollars). Quant à la billetterie, elle atteint tout juste (selon les prévisions) la centaine de millions. Une paille. Une grosse paille, mais une paille.
Le temps passe : en 1948, lors des premiers jeux télévisés, la BBC avait payé ses droits 800 balles. Et le CIO les lui avaient rendu, parce qu'il avait fait du bénéfice. Il fera évidemment un bénéfice incomparable en 2008, mais ne rendra rien des centaines de millions (1,737 milliard de dollars) qu'il aura encaissé en droits TV. La seule chaîne américaine NBC a payà 894 millions de dollars, ce qui lui donnait le pouvoir d'imposer les horaires des compétitions pour qu'elles passent à de bonnes heures pour ses téléspectateurs, et surtout ses annonceurs. L'Europe suivait à bonne distance, avec 400 millions de droits (pour tous les pays d'Europe réunis, de l'Alantique à l'Oural).

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