30 décembre 2013

Stade de la Praille : on débranche ou on s'acharne ? Exit ou les soins intensifs ?

Dans ses dernières heures de Conseiller d'Etat, Charles Beer a allumé un pétard : le Stade (de la Praille) doit être «rénové ou rasé» (ou vendu), et si on choisit de le rénover, le canton doit cracher (une fois de plus) au bassinet. Cela fait onze ans que ce stade a été inauguré, et onze ans que les collectivités publiques balancent des millions dans ce trou financier, sans jamais, évidemment, parvenir à le combler, puisqu'il est impossible qu'un stade de 30'000 places dans un canton de 500'000 habitants puisse couvrir ses coûts de fonctionnement, d'entretien, et à plus forte raison de rénovation.  Aujourd'hui, pour cet équipement surdimensionné, pas terminé et mal entretenu, pour ce grand malade, inguérissable, on devrait faire appel à qui ? à Exit, enfin, ou aux soins intensifs, une fois de plus ? 
On débranche, ou on s'acharne ?


Du destin des mammouths et du prix de leur fourrage

Selon un audit de l'Académie internationale des sciences et techniques du sport (voui, ça existe...) de Lausanne, se basant sur une étude comandée par la Fondation du Stade de Genève (qui prêche pour sa paroisse) et des propositions émises par le Servette FC (qui prêche pour la sienne, et avait commencé par réclamer carrément 25 millions) et son cabinet d'architecte (qui voit venir un mandat), il faudrait 5,6 millions de francs pour remettre en état (minimum) le stade de la Praille, et 1,1 million par an (pendant combien de temps ? cinquante ans ?) pour l'entretenir. On les croit sur parole. On ne doute pas de leur objectivité. Non, non, non. Et on en vient tout de suite à la question : qui va payer ? Réponse du Conseiller d'Etat (sortant depuis quelques heures) Charles Beer : le canton. Ou alors, le stade, on le démolit. Ou on le vend. On s'en débarrasse d'une façon ou d'une autre, quoi. Et là, on est d'accord. Parce pour le reste...

Prenant connaissance des propositions de Charles Beer (5,6 millions pour des travaux urgents, 1,1 million par an pour l'entretien), nous nous sommes souvenus de ce film américain des années '80, « un jour sans fin », dont le héros ne cesse de revivre la même journée, du réveil au coucher, sans jamais pouvoir rien en changer. Depuis que le stade a été inauguré, ses gestionnaires et leurs relais politiques nous chantent la même chanson : « ce stade existe, il faut l'assumer ». Oui, ce stade existe, mais jamais les Genevois ne l'ont voulu -il existe parce qu'on le leur a imposé. Pourquoi devraient-ils le payer pendant cinquante ans ? La proposition de Charles Beer satisfait le président de la Fondation du stade (qui n'a pas les moyens d'entretenir le stade, ni de le rénover) et le président du FC Servette (qui exploite l'enceinte, sans arriver à payer son loyer). « ça couvre les travaux urgents », explique Hugh Quennec : refaire la pelouse, installer un chauffage antigel, changer les portes d'entrée et les tourniquets, rénover le système d'éclairage, adapter la « zone VIP » et le système d'affichage publicitaires. Pour l'essentiel, des exigences de la Swiss Football League pour que le Servette puisse jouer en Super League (tout ça à prononcer en anglozurichois) à partir de la saison 2014-2015. Mais c'est quoi, cette Swiss Football League qui pose des exigences à satisfaire par des collectivités publiques ? Une instance officielle ? Un tribunal ? Une administration publique ? Rien de tout cela : une association privée. Qui n'a aucun droit, aucune compétence, aucun pouvoir sur un canton ou une commune, sinon ceux que la complaisance de ces collectivités manifestent à l'égard des coupoles du sport professionnel, de ses associations, ligues, fédérations, comités... et sponsors.
Et la Tribune de Genève de brandir comme argument une comparaison absurde entre le coût de la rénovation du stade et ceux, par exemple, de la rénovation du Grand Théâtre ou du Musée d'Art et d'Histoire, ou du Cycle d'Orientation du Renard, comme si un institution qui produit de la culture, de l'éducation ou quelque contenu que ce soit, et qui, dans le cas du Grand Théâtre, emploie 300 personnes pour emplir sa salle à 80 % de ses capacités, en moyenne annuelle et tous spectacles et concerts confondus, pouvait être comparée à un lieu dont 80 % des places restent inoccupées, qui n'emploie personne et ne produit rien lui-même...

Cela fait onze ans que le mammouth de la Praille barrit pour son fourrage, et onze ans que le canton, la Ville de Genève, la Ville de Lancy, se renvoient le ballot pour savoir qui va payer la nourriture du monstre. Sur lequel, notons-le (une fois de plus) au passage le bon peuple des citoyens contribuables n'a jamais pu se prononcer -sauf une fois, et seulement en Ville, lorsqu'il a refusé à trois contre un d'accorder un prêt (à fonds perdus) à la Fondation du Mammouth. Alors on en est désolés pour les amis des paléobestiaux, mais le destin de ce mammouth comme de tous ses congénères est de finir gelé dans le permafrost, pas d'être enfourragé ad vitam aeternam par les collectivités publiques : c'est soixante ans, la durée de vie d'un stade comme celui de la Praille. On en a tiré onze. En reste cinquante. C'est long, un demi-siècle, à passer à pomper dans les caisses cantonale et municipales pour entretenir la fiction de l'utilité de l'animal.

« Qu'on dise clairement, une fois pour routes, qu'on ne veut plus du Stade, et à ce moment-là, vendons-le ou rasons-le », résume Charles Beer, pour qui sa proposition de faire payer le canton n'a précisément comme alternative que la vente ou la démolition du stade. Chiche ? On démolit ? On vend ?  Pour une fois qu'on prône une privatisation, la droite ne va tout de même pas nous le reprocher... Après tout, ce stade, c'est surtout elle qui en voulait, quitte à laisser des élus de gauche se débrouiller avec... Il est vrai qu'elle ne propose de privatiser que ce qui est rentable, pas ce qui ne rapporte que des emmerdements.
« Socialiser les pertes, privatiser les bénéfices » ?  Et si, pour une fois, on inversait le prédicat ?

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