27 juillet 2009

EUROPOULETS

Le droit de manifester a été fortement restreint pendant l'Eurofoot : le Département des Institutions a édicté une directive stipulant que, sauf exception, aucune manifestation imprévue ne serait autorisée sur la voie publique en juin, compte tenu de la mobilisation des forces de police autour de l'Eurofoot et de ses à-côtés. En Ville, des manifestations régulières (la Fête de la Musique, les Promotions) ont certes été maintenues, mais des manifestations prévues (y compris des tournois de foot) ont été déplacées (Pro Velo), repoussées (Gena Festival à Avully) ou suspendues (la Ville est à vous).
Comment nos zautorités auraient-elles fait si l'actualité politique avait eu le mauvais goût de ne pas se plier au calendrier des festivités footballistiques, et provoquait des manifestations ? Elles auraient été emmerdées (surtout si les organisateurs de manifestations de protestation ou de soutien ne demandaient pas d'autorisation, vu qu'ils avaient la quasi-certitude de ne pas l'obtenir) ? la Ville avait annoncé qu'elle donnerait son accord pour de telles manif's imprévues provoquées par les tumultes du monde, mais à la condition que le canton soit lui aussi d'accord. "Le droit constitutionnel de manifester sera maintenu", assurait le Secrétaire adjoint du département des institutions, Nicolas Bolle, qui ajoutait cependant que "chaque demande sera examinée attentivement". Autant ne pas déposer de demande -et même, utiliser intentionnellement les moments de rassemblement autour de l'Euro pour y greffer la manif. Hélas (trois fois), tel ne fut pas le cas.
Pourtant, y'aurait eu des squats à tenter...

La majorité de droite du Grand Conseil genevois a accordé au Conseil d'Etat (dit "de centre gauche") un crédit de 5 millions pour doter, hors de toute base légale utilisable, huit sites "sensibles" de caméras de surveillance en prévision de l'Eurofoot -mais les caméras resteront après, premiers fils d'une toile de vidéosurveillance plus étendue. La gauche s'est opposée à cette proposition, mais l'intellectuel de service, Eric Stauffer, du MCG, lui a répondu que "ceux qui sont contre sont ceux qui ont quelque chose à se reprocher".

La police genevoise avait commencé fin janvier à s'entraîner pour l'Euro2008 : à la Gare Cornavin, le 23 janvier, des policiers déguisés en supporters et des policiers déguisés en policiers ont fait mumuse pour tester le dispositif d'encadrement des premiers par les seconds. Au Stade de la Praille, où le 10 avril des policiers déguisés en supporters ont fait mine d'affronter des policiers déguisés en policiers. Explication de la police : 30'000 personnes à la Praille pendant les matches, et une activité "festive" presque 24 heures sur 24 pendant trois semaines, ça équivaut aux Fêtes de Genève plus la Lake Parade. Et faut se préparer. D'ailleurs, on avait préparé une prison provisoire "spéciale Euro", sur le modèle des prisons temporaires créées en Allemagne pendant le Mondial 2006 (elles avaient accueilli 400 supporters). A Genève, la prison temporaire (Champ-en-jachère-Dollon ?) était installée à Palexpo dans la halle 7 et pourrait être réutilisée pour le Mondial de hockey en 2009. C'est "pour le bien de la collectivité", expliquait le porte-parole de Palexpo. On est sauvés, Palexpo veut notre bien. De toutes façon, on pouvait pas mettre les supporters violents à Champ-Dollon, ousque ce ne sont pas les clients qui sont bourrés, mais la prison elle-même. D'ailleurs, une fois terminé, l'Eurofoot est venu au secours de Champ-Dollon : douze des cabanes en bois utilisées comme lieux de rétention provisoire à Palexpo, dans le cadre de l'Eurofoot, vont être mises à disposition de Champ-Dollon, au cas où. Au cas où quoi ? Non, pas en cas de surpopulation, c'est promis, assure le directeur Franziskakis. Juste en cas d'"événement exceptionnel", comme un incendie. Provoqué par exemple par une mutinerie elle-même provoquée par la surpopulation, on joue un peu sur les mots, là...

Les gendarmes genevois toucheront une indemnité spéciale, forfaitaire, pour leur service pendant l'Eurofoot, et leurs heures supplémentaires seront payées. L'Union du personnel du corps de police réclamait le versement d'une prime exceptionnelle pour la surcharge de travail pendant l'Eurofoot. A l'occasion du G8, une prime de 2500 francs avait été octroyée aux gendarmes et policiers genevois. Si une prime équivalente était versée pendant l'Eurofoot, et on ne voit pas au nom de quoi elle ne le serait pas, la facture de l'Eurofoot pour les collectivités publiques s'alourdirait d'au moins un million.

La police lucernoise s'est quant à elle fait la main, le 1er décembre, sur des manifestants n'ayant rien à voir avec l'Euro, mais ayant eu le mauvais goût de défiler en ville pour protester contre les menaces de fermeture d'un centre alternatif, alors que l'UEFA s'apprêtait à organiser à Lucerne le pince-fesse du tirage au sort des matches de l'Euro. Pour les flics lucernois, c'était une sorte d'exercice grandeur nature avant l'Euro, où une partie d'entre eux ont prêté main-forte aux flics des villes-hôtes alémaniques. Donc, bilan du test (ou on a scrupuleusement respecté les consignes énoncées pour les matches de l'Euro) : dispersion de la manif en tirant des balles de caoutchouc, 245 personnes arrêtées, emmenées dans un abri PC transformé en prison, fouillées, parfois désabillées et photographiées (parfois à poil, y compris les filles de moins de 18 ans, dénudées devant des policiers et des employés de la protection civile, certaines étant en outre l'objet de fouilles intimes). Des personnes ont été enchaînées pendant des heures, entassées dans de petites cellules sans sanitaires.

Des accords de coopération ont été signés avec la France et l'Allemagne pour que des policiers français et allemands (entre 500 et 1000 au total) puissent renforcer les flics suisses pendant l'Euro. A Genève, des agents français pouvaient être engagés pour une durée maximale de 48 heures, pour les matches Portugal-Turquie du 7 juin, République tchèque-Portugal le 11 juin et Turquie-République tchèque du 15 juin. Les Allemands sont allés s'ébrouer à Bâle et à Zurich. Berne a bénéficié de renforts des polices argovienne, soleuroise et de Suisse centrale. Avec tout ça, la Suisse était prête à tout. Mais les polices cantonales avaient averti : avant, pendant et après les matches de l'Euro, on sera aux abonnés absents pour tout ce qui relève de nos tâches habituelles. La police zurichoise a annoncé que les jours des matches, elle ne pourra assurer qu'un service minimum. Et elle a aussi annoncé qu'elle testait un drone (avion sans pilote) embarquant une camera pour pouvoir identifier les situations critiques.

Heureusement, quand les polices d'Etat menacent d'être débordées, les polices privées veillent : Securitas annonçait vouloir engager 400 personnes pour Vaud, le Valais et Genève (la moitié à Genève), et Protectas 1000 personnes pour toute la Suisse, dont 300 en Romandie. Les deux poulaillers privés n'avaient, fin mars, trouvé que la moitié de ce nouveau personnel. En attendant, ce sont bien des "agences de sécurité" privées -plus clairement dit : des polices privées- qui ont assuré la "sécurité" de la "fan zone" de Plainpalais. Et les organisateurs du parc à bestiaux ont été "très satisfaits" des prestations de Python Sécurité et AS Sécurité. Ils ont raison : obliger les vieilles dames avec des cannes et les jeunes mères avec poussettes à faire le tour de la plaine squattée par le parc à beaufs, ça méritait toutes les félicitations.

Et puis, notre glorieuse armée était sur le pied de guerre : en 2006, le Conseiller fédéral Samuel Schmid avait annoncé que 15'000 soldats seraient¨ mis à disposition des cantons pendant l'Eurofoot. La plus forte mobilisation depuis la Guerre Mondiale. On en avait tiré fort judicieusement la conclusion que l'armée se cherchait, et trouvait là où elle pouvait, des missions pouvant justifier son existence. Mais en réalité, des 15'000 soldats annoncés, on n'en a mobilisé que quelques centaines. A Genève, la gendarmerie a annoncé qu'elle comptait sur le renfort d'une seule compagnie, soit une centaine de troufions, chargés de régler la circulation et d'accomplir des tâches purement logistiques. C'est pour ça qu'on a besoin d'une armée, pour faire le boulot d'une police municipale ? Ben oui, c'est pour ça...
Et c'est pour ça aussi qu'on a besoin d'hélicoptères militaires : un Super Puma de l'armée, équipé d'une caméra embarquée, a remplacé à Genève les drones (avions sans pilotes) utilisés dans les autres villes-hôtes. Explication : l'aéroport est trop proche. Et la baudruche à Jobin aussi ?

Le Tribunal fédéral a annulé partiellement le règlement zurichois contre le hooliganisme, adopté en prévision de l'Euro2008, et mis également hors-jeu le dispositif genevois. Le contrôle judiciaire de la garde à vue (24 heures au maximum) des supporters arrêtés était jugé insuffisant par le TF, qui trouvait discutable le principe même de l'emprisonnement avant toute commission de délit, et qui précisait que tout individu arrêté doit pouvoir recourir immédiatement contre son arrestation et sa détention auprès d'un juge ou d'un tribunal, ce que ni le règlement zurichois, ni le règlement genevois ne permettaient. A Zurich comme à Genève, les réglements ne satisfaisaient pas aux exigences posées par la Convention européenne des droits de l'Homme, puisqu'ils ne prévoyaient de premiers recours qu'auprès d'autorités administratives ou politiques. A Genève, le règlement prévoyait qu'un recours doit être déposé d'abord auprès du Département cantonal (celui des Institutions), et, en deuxième instance, auprès du Tribunal administratif. Procédure trop lente, et insatisfaisante au regard de la Convention européenne, estime le TF. Du coup, Genève a du revoir sa copie : le supporter mis en garde à vue a inalement pu saisir la justice, et celle-ci (en l'occurence le Tribunal administratif) avait 24 heures pour rendre une décision. Restait un problème : celui de la détention de mineurs. Pour la présidente du Tribunal de la jeunesse, Sylvie Wegelin, il ne pouvait être question "de mettre les jeunes ailleurs qu'à la Clairière" -mais celle-ci est déjà surpeuplée, et ses cellules dédoublées.

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