25 juin 2014
Des vertus intégratives supposées du football : Nati sauce multiku
Ce soir, on saura qui de la Suisse ou du Honduras (mais c'est où, ça, le
Honduras ? Comment peut-on être Hondurien ?) aura passé le cap des
éliminatoires du Mundial de foot pour se retrouver en huitième de
finale, et qui prendra, comme les Italiens, les Anglais, les Espagnols
(pour ne citer que ceux-là) le charter du retour. Avouons d'emblée qu'on
s'en fout un peu, de savoir qui des Suisses ou des Honduriens restera
au Brésil. En revanche, quelque chose qu'on nous serine depuis le début
du Mundial à propos de l'équipe de Suisse commence assez sérieusement à
nous chauffer les oreilles : l'ode au « multiculturalisme » de cette
équipe, mesuré par l'origine nationale de ses joueurs, et à son
exemplarité positive. Les équipes de foot, et le spectacle qu'elles
donnent, auraient ainsi des vertus intégratives particulières...
Question : ces vertus supposées ne seraient-elles pas communes à toutes
les pratiques collectives dans une société, « multiculturelle » par
définition...
L'équipe de Suisse qui gagne, c'est « notre Nati » La même qui perd, c'est le FC Prishtinë
Sur les 23 membres de la sélection suisse de foot pour le Mundial
brésilien, la majorité sont nés à l'étranger ou de parents étrangers. Et
alors ? Souvenez-vous de l'équipe de France «Black-Blanc-Beur»
championne du monde en 1998 et du portrait de Zidane balancé par laser
sur l'Arc de Triomphe... combien de temps a-t-il fallu pour passer de
cette euphorie « multiculturelle » à la promotion tribale de Jean-Marie
Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle ? Et combien de
temps entre le vote du 9 février dernier contre l'« immigration massive »
et la promotion de la « Nati » comme fer de lance de l'intégration des
immigrants ? « les immigrés sont là pour le pays et ensuite on vote
contre eux », se désole, dans Le Monde,. un dirigeant du club amateur
genevois FC Kosova. Il en va sans doute ainsi de l'équipe nationale de
balopied : le joueur d'origine «étrangère» qui marque un but contre
l'équipe adverse sera un héros et un symbole d'intégration. Il sera un
traître et un métèque s'il commet un autogoal. Tant que l'équipe gagne,
elle est un modèle, un étendard. Dès lors qu'elle perd, elle n'est plus
qu'une équipe faillie. Si la Suisse se qualifie ce soir, son équipe sera
« notre Nati ». Si elle se fait sortir par le Honduras, a même équipe
ne sera plus que le FC Prishtinë.
En outre, il y a quelque chose de profondément pervers à mettre en
exergue l'origine nationale, géographique, « ethnique » des membres d'un
collectif (une équipe nationale de foot, par exemple...) pour proclamer
les hautes vertus intégratives de ce collectif, comme si cette
différence là, celle des origines géographiques, était plus importante,
ou plus menaçante a priori, qu'une différence de milieu social.
Toute société est, par définition, multiculturelle. C'est ce qui la
distingue de la communauté. Mais cette «multiculturalité» n'est pas
réductrice à la pluralité des origines nationales, et il y a plus loin
d'un paysan de montagne appenzellois à un instituteur genevois qu'entre
un instituteur genevois et un instituteur algérien... Puisque toute
société est multiculturelle par définition, toute manifestation sociale,
tout groupement social, le sont aussi, et cela vaut pour le sport comme
pour le théâtre, pour une équipe de foot comme pour un orchestre... 40 %
des licenciés de football en Suisse sont étrangers, 60 % des joueurs
des équipes juniors sont binationaux ? Y voir autre chose que le reflet,
non pas arithmétique mais pour ainsi dire synthétique de la société
suisse relève soit de l'autosuggestion, soit de l'apologie publicitaire :
ce sont les pratiques collectives qui sont « intégratives », le sport
comme les autres, et pas plus que les autres. Une partouze ou une émeute
le sont au moins autant, sinon plus, qu'un match de foot, et
mériteraient autant que lui que l'on chantât leur louange à l'aune de
leur « multiculturalité ».
Dès lors, regardons (si nous y trouvons quelque intérêt) les matches du
Mundial pour ce qu'ils sont, et pas pour ce qu'on voudrait en faire, et
que ceux qui veulent y vibrer y vibrent, comme on peut le faire devant
un spectacle qu'on aime, parce que ce n'est rien que cela : ni une
cérémonie religieuse, ni une glorification de la patrie, ni une
célébration du «multiculturalisme . Un spectacle, rien de plus. Et donc,
comme Malraux le disait du cinéma, par ailleurs, aussi, une industrie.
Aussi, ou désormais surtout..
Sur ce, pour entendre moins de conneries et de klaxons : Hopp Honduras !
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