05 juin 2014

Mundial de foot : sous les stades, la plèbe

Piqûre de rappel social dans les « fan zones »

Avant les matchs du Mundial brésilien, sur le site de la « Fan Zone » des Vernets, un clip de Solidar Suisse sera diffusé, passant en revue les « fautes » les plus exemplaires commises lors des précédentes compétitions internationales, pour en arriver, sous le slogan « stop aux tacles sociaux », à un « tacle » du patron de la coupole internationale du foot professionnel (la FIFA), Sepp Blatter, sur un petit vendeur de rue brésilien. Le Mundial brésilien, il est vrai, est passé comme un rouleau compresseur sur le petit peuple des villes où se joueront les matchs, dans des stades rénovés ou construits flambant neufs, à coups de milliards dans un pays où les infrastructures sociales les plus essentielles sont en déshérence.  Si nous étions animés de quelque mauvais esprit, nous souririons de cette caresse à nos bonnes consciences de gauche (qui, il est vrai, on bien besoin d'un peu de tendresse en ce moment), mais n'étant animés de rien qui ressemble à du mauvais esprit, nous saluons cette piqûre de rappel social, « contextualisation » indispensable des jeux du cirque.


« Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas » (Héraclite, fragment XVIII)

Les spectateurs des matchs du Mundial de foot au Brésil ne seront pas gênés par la réalité sociale des villes ou ces matchs se dérouleront, et il n'y aura pas de concurrence artisanale faite aux multinationales qui sponsorisent le tournoi : Près de 300'000 petits vendeurs de rue sont visés par les exigences d'épuration sociale posées par la FIFA aux autorités brésiliennes : des zones d'exclusion commerciale s'étendant jusqu'à deux kilomètres autour des stades ont été instaurées, où les vendeurs « non  agréés » seront interdits. Les fameuses « retombées financières » du grand raout footballeux, ce sont les entreprises de construction des stades (qui ont surfacturé leurs services et fait ainsi quadrupler les coûts de construction ou de modernisation des stades) et les sponsors de la FIFA qui vont, après déduction de la corruption, les engranger, pas la plèbe brésilienne. Elle, la plèbe, sera tenue à l'écart des zones de non-droit que seront les stades et leurs alentours, comme elle a été expulsée de ses logements détruits pour faire place aux infrastructures centrales et périphériques du Mundial.

Notre ministre des sport, Sami Kanaan, rappelle que depuis l'Euro 2008, la Ville tente de. « sensibiliser la population aux problèmes des droits humains lors des grands rassemblements sportifs »; vaste programme, mais quelle population veut-on sensibiliser? celle qui l'est déjà ? ou celle qui va « communier » lors de la « grand-messe » du foot ? On a les religions qu'on mérite, et si athée et anticlérical qu'on soit, on en vient  facilement à préférer à celle dont la célébration va s'ouvrir en juin, celles dont nous nous sommes si souvent gaussés.
Outre la diffusion du clip de Solidar Suisse, la Ville a permis l'installation de stands d'information de plusieurs associations de défense des droits humains dans la « Fan Zone ». Sami Kanaan assume, au nom de la Ville de Genève le contenu critique du travail d'information des associations qui tenteront de faire passer au public un message de solidarité et de responsabilité, et affirme que ce message est, sur le fond, partagé par la Ville. On ne pourra évidemment, ici, que saluer cet engagement : si inaudible que soit une parole de vérité dans une foire comme celle qui va s'ouvrir, il convient tout de même de la proférer. On ne se fera pourtant pas beaucoup d'illusions quant à l'efficacité de cette présence critique pour attirer l'attention du public des « fan zones » sur les conséquences sociales de l'organisation du Mundial brésilien : en période footballeuse, et le Mondial est probablement la pire de toute, le supporter est totalement inaccessible à toute espèce de discours à peu près rationnel. C'est d'ailleurs précisément sur cette infirmité intellectuelle que comptent le gouvernement brésilien et la FIFA : au coup d'envoi du match, le cerveau s'arrête, les tripes prennent la relève et la protestation sociale qui avait soulevé le Brésil contre le gaspillage de 10 milliards de francs pour le Mundial dans un pays où écoles, transports, système de santé sont en déréliction, est recouverte par le spectacle « sportif » : «combien d'hôpitaux, d'écoles, de logements aurait-on pu construire avec l'argent dépensé dans les stades ? » demandaient les manifestants de juin 2013... et que fera-t-on de certains de ces stades, surdimensionnés pour le public de villes comme Brasilia ou Manaus ?

Mais sait-on jamais : peut-être qu'avant l'orgie tripale et tribale, ou après (en laissant passer le temps du deuil hébété pour les supporters des perdants et de l'exsudation orgasmique pour ceux des gagnants), des bribes de réalité peuvent se frayer un chemin dans les neurones mis en veille.
Il faut espérer l'inespérable, nous enseigne le vieil Héraclite...

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